Vous y dégusterez un buffet végé en lunch de semaine, un enchantement pour celui qui aime voir le végétal magnifié. Et à un prix que l'on ne pourrait concurrencer si on cuisinait chez nous des produits de la même qualité (21€). Un accord subtil entre tous les plats, qu'on choisit en buffet. Un choix de parfums et d'épices très harmonieux. Même un végane pourrait s'y régaler, s'il ne fait pas partie des extrémistes qui tirent des boulets quand ils voient un bout de fromage.
Je suis désormais une viandarde, car c'est bien la viande qui m'a sauvé la vie - le poisson et le végétal n'y sont pour rien. Mais il faut reconnaître que, même cuisinée avec finesse, la viande a toujours un petit air de cousin de province bien lourdaud qui vient raconter des blagues en fin de banquet. J'adore en revanche la finesse des légumes de saison à peine cueillis, cultivés en pleine bonne terre, cuisinés avec respect. On peut les sentir chanter en bouche encore longtemps, comme un tout bon vin. Ah! si mon corps les acceptait en haute quantité, je ne me nourrirais que de légumes et de fruits. J'aime aussi savoir que je soutiens les producteurs locaux lorsque je consomme.
Tout le buffet est végétal à l'extrême, légumineuses en tête, mais le chef a évité deux pièges: l'extrémisme précisément (le soir le restau n'est plus végé) et les produits de substitution à la triste saveur comme les laits végétaux ou autres ersatz. J'ai dégusté un pain exquis. Demandé du beurre, que je ne voyais pas sur table, et que j'ai reçu illico. Délicieux aussi. Le petit côté froid du buffet est compensé par un bon petit potage.
Si le sosie de Romain Duris vient vous apporter le café en fin de repas, remerciez-le car j'ai découvert lors de l'écriture de ce billet qu'il s'agit du chef lui-même. Il venait probablement faire un tour pour tâter le pouls du public.
Je ne sais si cela se fait encore, mais quand un chef vient en fin de repas me demander mon avis, je suis toujours gênée. D'abord, pendant ce temps, il oublie de surveiller sa cuisine, ce qui m'importe plus que de voir sa jolie bobine. Ensuite, qui ose lui dire ce qui ne plaît pas? Franche du collier, je l'ai fait plus d'une fois, pour voir mon homme se réfugier sous le tapis. Ici, si c'est bien le chef que j'ai vu, c'était discret, élégant.
C'est en outre un lieux charmant, plein d'âme. On se régale dans un décor qui, tout en étant minimaliste et couleur ivoire, est chaleureux. J'ai repris une de leurs photos d'été en tête de billet car je rêve de découvrir cette ambiance en belle saison.
Je partage ce bonheur surtout à l'intention des Jules qui pensent que manger végé est tristounet. Je pense ici à celui qui manque d'idées en cuisine, à celui qui veut convaincre un conjoint de jouer dans la cour des naturos, à celui qui veut simplement faire chanter les légumes en bouche.
Je fais partie de l'ancienne génération des végés qui ont connu des restaurants à "potée" végétarienne (+-1996-2000). Pire encore: quand je voyageais, par exemple en Angleterre pour visiter leurs merveilleux jardins, si j'annonçais ma couleur végé, on me servait des petits pois carottes avec de la purée. Soit le même plat que mes copines, mais sans la viande.
J'ai aussi pu goûter des concoctions crudivores lors de ma période crudi. Même chez des chefs, j'en sortais déçue. Et affamée. Sauf quand le cuisinier, à l'instar de Pol Grégoire, a compris que la vapeur et les cuissons douces au four n'étaient pas toxiques.
Je ne fréquente plus beaucoup les restaurants, car mon homme et moi sommes souvent attristés par le manque de profondeur harmonique des plats, ce qui est ma façon contournée de dire que le chef utilise des fonds de sauce en sachet, des plats préparés à peine réchauffés, des desserts sous vide. Je ne vous fais pas le topo complet, vous le connaissez. Mon doux le reconnaît au palais, je le reconnais à mes réactivités dans les douze heures.
Rarissimes sont les restaus où l'on cuisine encore tout en interne. Mon petit cousin, cuistot dans une grande maison, n'a pu me répondre lors de mes débuts pâtissiers:
-- (par téléphone) Xavier, tu m'aides pour une génoise? Je n'y arrive pas, elle est toujours assez lourde.
-- Tu veux rire? Depuis que j'ai passé mon diplôme, je n'ai plus réalisé une seule pâte. On déroule des pâtes préparées.
Conclusion: nous n'allions plus déjeûner qu'au Pilori, à Ecaussines.
Bref, ce long détour pour partager ce délicat bonheur que nous avons eu hier. Il y a moyen de se régaler en pur végé, chez un chef qui cuisine éthiquement des produits locaux, frais, dans le respect des cuissons et des saveurs. Une prochaine fois, nous testerons les dînettes du soir, qui sont moins franchement végé, plus gastronomiques (et plus chères).