L es méandres de la nutrition, ça la connaît. Elle a tellement croqué dedans. Presque un miracle qu’elle ne se soit pas transformée en un portrait d’Arcimboldo, figeant un visage mi-homme, mi-dieu, à la tête composée de légumes et de fruits. Taty Lauwers tend un nectar de carottes, pommes et concombres en guise d’accueil. Le goût âpre du réveil d’hiver s’altère dans l’instant. La mixture veloutée sort du Jazz, un extracteur de jus sud-coréen. « Meilleur et plus volumineux qu’avec une centrifugeuse », dit-elle. Le goût est à la hauteur du jugement, alors, on acquiesce.
Depuis quelques années, à travers livres et conférences, Taty Lauwers imite son Jazz : elle extrait de la vulgate nutritionniste les zestes de bon sens et en expurge les penchants dogmatiques, en meilleure ennemie du « mange pas ci, mange pas ça ».
La bonne bouffe « ressourçante », justement, elle y est venue comme on va en guerre. Sans rien savoir. La peur au ventre, aussi, car il y avait bien combat. « Du plus loin que je me souvienne, je n’ai connu que maladies en cascade. » De l’otite à la crise de foie, le tout englué dans une angine récurrente. Taty, Nivelloise, 54 ans, déguste, fatigue chronique en prime. Elle clope comme pas deux et mène une vie comparable aux « baroudeurs urbains » à qui elle s’adresse dans ses livres : son univers culinaire s’arrête alors au micro-onde. Puis vient le coup de bambou, sous forme de cancer, à 39 ans, pile dans le côlon. La suite est connue : opérations, chimio, le regard du toubib dans lequel on compte le temps qui reste.
Taty chamboule son régime alimentaire et tâte de toutes les diètes, de la méthode Kousmine (du nom d’une doctoresse russe qui fait la part belle aux légumes frais et dit adieu à la margarine industrielle) jusqu’à un crudivorisme acharné. En 1999, une autre invasion barbare s’annonce sous la forme d’une variante de la maladie de Crohn. Elle constate que ces voies diététiques ne suffisent pas. Elle décide d’écouter sa « nature propre » qui réclame de l’osso bucco et du pinot à petites doses. L’agonie tourne à la renaissance. « J’étais comme Lazare sortant de son tombeau. » Un Lazare débarrassé de la doxa diététique, soigné à la graisse originelle et à la réduction des féculents. Vient alors le désir de communiquer sa réforme alimentaire. Elle se lance dans l’écriture de topos et recettes. Les injonctions moralisatrices, les restrictions quantitatives et l’idée de régime en sont proscrits. « Un régime est fait pour être enfreint alors qu’un mode alimentaire est tenable sur la durée, n’exclut aucun aliment mais en dose les proportions et en optimalise la quantité », écrit-elle dans Nourritures vraies.
Elle lutte contre les idées reçues. Les graisses : ennemi capital ? Elles seraient bien plus bénéfiques que ce que le « matraquage publicitaire » nous fait avaler. A condition qu’elles soient naturelles, car elles nourrissent le cerveau et empêchent le grignotage obsessionnel.
« Je ne cherche pas à convaincre à tout prix, ni ne revendique une grande autorité. Pas question de me “gouroufier”. » Ses livres sont plutôt une invitation à (re)découvrir les vrais aliments issus du terroir, à se méfier des « mentions sur les étiquettes qui ressemblent à des noms d’autoroutes » et à s’initier à l’écoute de son corps.
Elle reproche aussi à certains nutritionnistes leur monomanie : « On pourrait vous dire qu’il faut manger tout rose et tout mou, ou juste manger des légumes, et ça tombe de nulle part. La diététique doit être repositionnée dans son contexte, à la fois culturel et historique. »
Picorant aux quatre coins de la planète, des théories chinoises à l’ayurvéda indien via le « bon sens de nos aïeux », Taty désire chasser les « fantômes » que nous mangeons, ce qu’elle appelle du carton qui nous « fait finir en camelote ». En point de mire, dans ses textes, « tous les produits qui nous sont présentés comme des aliments par la seule puissance hypnotique des merveilleuses publicités, images qui ne leurrent que notre cerveau, pas nos cellules ».
Taty Lauwers, malade professionnelle reconvertie en rescapée, a la dent dure contre « Monsieur Grande Surface ». Mais si la pêche, la banane, la grande forme devaient trouver une incarnation, ce serait peut-être elle.