A ce stade-ci de mes réflexions, je ne rééditerai pas encore de ces jours-ci le topo "Canaris de la modernité". Il restera épuisé encore quelques mois, le temps que je trouve le ton juste pour la nouvelle version. J'meuh tâte aussi pour "Enfants sereins", le livre pratique à l'intention des parents d'enfants atypiques et polyallergiques, livre de cuisine qui était lié au topo.
Plusieurs raisons à mon attente. Dont l'une est que, réaction bien humaine, quantité de mangeurs fragilisés par la vie s'enferment ou enferment leur petitou dans la cage des canaris. Je n'ai pas rédigé ce livre pour imposer à l'un ou l'autre une identité fermée, mais bien pour signaler aux coachs ou aux curieux (les topos sont des ouvrages théoriques) qu'il existe une forme de réactivité assez peu connue en Naturoland, qu'il est facile de louper: les mangeurs dont la fragilité se manifeste DE NAISSANCE par un foie mauvais détoxifieur. Dans ces cas-là, et seulement dans ces cas-là, la voie à tenter est de diminuer de manière draconique certains additifs (pas tous!), certains cosmétiques (pas tous) et quasi toutes les sources de salicylates dans l'assiette, elon la piste qu'ont ouverte les équipes Feingold (USA) et Failsafe (Australie). Et encore, l'éviction des salicylates est momentanée le temps de requinquer le petit.
J'ai dû mal m'exprimer dans le topo "Canaris", car je vois des adultes persévérer dans l'éviction des salicylates et des amines et des sulfites et de que sais je encore? même après un an. Primo, rarissimes sont les adultes franchement canaris; il s'agit bien plus souvent de cas d'épuisés chroniques, ou de multiréactifs qui s'avèrent chimico- et/ou électro-sensibles. Je ne nie pas leur fragilité, mais leur cas ne ressortit pas du plan canari tel quel. Secundo, si le programme n'a pas été assez efficace pour leur permettre d'en sortir après quelques mois, ce n'était pas le bon programme, tout simplement.
La mode américaine arrivera sous peu chez nous de soulever l'hypothèse d'un polymorphisme génétique chez les mangeurs fragiles (qui est une mode américaine entretenue par les labos qui vendent les tests génétiques pour des fortunes). L'étude du génome a ouvert de belles pistes en effet. Il semblerait que les multisensibles actuels ont des particularités de naissance qui les classent dans les freaks de la génétique. Le fait d'être né avec des déficiences enzymatiques x y ou z ne fait pas du mangeur un canari. Cela signale qu'il est hypersensible ou atypique, ce qui est bien différent si l'on doit penser à une solution pratique. On n'a pas besoin de payer des centaines d'euros chez 123andme.com (et recevoir des tests qu'on ne comprend de toute façon pas) si l'on veut se savoir "mangeur atypique". Il suffit de s'écouter (ou d'écouter son enfant), de s'observer avec attention. Une illustration: parmi mes innombrables défauts de naissance, j'ai une carence du côté de l'épuration de l'adénosine, comme Chris Masterjohn, docteur en nutrition. C'est grâce à lui que j'ai enfin compris pourquoi, même en jeûne, je dois carburer au café faute de quoi je me décompose. Littéralement, comme un mur qui s'effondre. Ce n'est qu'une parmi les multiples particularités de mangeur atypique qui touchent tant Masterjohn que moi-même. Allons-nous énoncer que c'est une vérité pour tous?
Lors de la réédition de Canaris de la modernité en 2013, j'avais pensé habile de recibler le topo (et les menus) sur les enfants. Car il y a beaucoup de ces petits canaris parmi les tout jeunes. Mais en quelques années, je vois que ce libellé de canari est utilisé à tort et à travers. Beaucoup de mangeurs hypersensibles (aux amines, aux moisissures, aux sulfites, etc.), qui le sont devenus par les épreuves de la vie et par notre monde insensé, se croient des canaris. Au même titre qu'une bonne partie des victimes d'épuisement chronique. S'ils pratiquent le programme ad hoc (que j'appelle Mes nerfs en paix), ils se sentent calmés, équilibrés, apaisés. Idem s'ils prennent du chardon-marie, la petite potion magique des canaris (qui aide à détoxifier un foie qui n'y arrive pas seul). Mais cela ne signifie pas pour autant qu'ils doivent se rigidifier en statue de canaris. Ils ont tout simplement bénéficié d'un choix d'aliments sains, sans additifs, et, en évitant les salicylates, d'une assiette moins chargée en principes actifs. Principes actifs (phénols, antioxydants, etc.) qui sont comme des médicaments pour l'organisme et qui, à ce titre, peuvent produire des effets secondaires quand les organes sont trop épuisés pour les métaboliser. En réduisant le thé, les fruits, les huiles VPPF, certains légumes, ils ont allégé la tâche de l'organisme. Paradoxal, mais réel.
Au passage, on m'a fait remarquer avec justesse que ce topo est le seul qui porte le nom d'un type de mangeur ou de profil. Les autres signalent une direction générale: Du gaz dans les neurones pour ceux dont la colopathie est la source des soucis, Cinglés de sucres pour ceux qui bénéficieraient de réduire les sucres ajoutés, Gloutons de gluten pour ces mangeurs qui sont devenus hyperréactifs à certains aliments trop souvent consommés, Quand j'étais vieille pour les épuisés chroniques. Mon erreur: le fait d'avoir nommé dans le titre une catégorie de mangeurs fait qu'on s'engouffre facilement dans ce tunnel. Ce libellé annonce au monde "oh, je suis si fragile, je suis un petit pioupiou, soignez-moi".
J'ai aussi de l'indulgence pour les possibles erreurs dans mon topo "Canaris", car je navigue un peu à vue dans ce contexte. Pour mes autres topos, la voie est bien balisée. Par exemple, je résume la mouvance Atkins, cinquantenaire désormais, dans Cinglés de sucres, en y ajoutant mes mises en garde prudentes et le flanc ressourçant. Pour les canaris, les voies existantes sont un peu branlantes. Merci à Sue Dengate d'avoir fait connaître les intolérances possibles des "canaris", mais pardon à elle si elle me lit, car son discours manque de structure et de rigueur. Pour elle, quasi tous les réactifs le seraient aux salicylates. Il n'est que de voir le nouveau nom de son site: le "réseau des intolérants". L'équipe Feingold aussi s'exprime comme avec des oeillères. En outre, ces deux mouvances ne sont pas animées par des médecins ou des chercheurs, comme d'autres de mes sources (pensons colopathie et la doctoresse Campbell, par exemple).
Autre raison qui expliquerait pourquoi mon discours a mal été compris: une des solutions royales pour ces mangeurs fragilisés (atypiques ou canaris) est de se protéger de la modernité, qu'elle soit manifestée par les polluants tout venant (parfums d'ambiance, toxiques ménagers, etc.) ou par les "polluants" naturo (huiles essentielles, entre autres). Et bien sûr se protéger de la modernité électromagnétique. Et ensuite de privilégier les nourritures vraies, en ciblant les graisses et les protéines utiles plus que les légumes "détoxifiants". Ce qui est diamétralement opposé à "éviter les salicylates ou les amines", ce que je n'ai présenté dans le livre que comme test de quelques semaines (à quelques mois selon les cas). S'enfermer dans des évictions alimentaires n'est pas une solution viable. Mais hélas, ces mots valises "détox" et "intolérances" sont bien plus sexy que mon attitude holistique.
Je pense avec émotion aux coachs et conférenciers qui essaient de faire passer cette notion subtile: ils auront peu d'inscrits, car c'est bien plus attirant de parler d'évictions... "Le miracle du sans gluten", "je mange cétogénique et je rayonne" "arrêtez d'assasiner, mangez végé" sont les putes-à-clic du monde de la naturo. Tout comme les nationalistes sont plus séducteurs dans leurs discours que mes amis écolos: leur parole tient en trois mots.
Le contenu du topo "Canaris de la modernité" sera commenté pour les praticiens dans le topo expert à paraître, intitulé "Repenser l'assiette du mangeur atypique" (prévu mi 2020). Parmi ces mangeurs que je qualifie d'atypiques, j'inclurai les hypersensibles adultes (un chapitre), les enfants polyréactifs, hyperactifs, etc. (un chapitre) et les "canaris" parmi ces enfants atypiques (un chapitre entier). Il me semble qu'aujourd'hui on a un peu amalgamé ces trois catégories. Ils sont atypiques car ils composent moins de 10% de la population et ne répondent pas aux conseils nutri habituels.
Dans ce topo expert (ardu puisque destiné à des férus de nutri), je reprendrai la liste de tous les réactogènes oubliés, par catégories - afin que le coach puisse définir quel est le maître chanteur de l'organisme d'un mangeur lambda. Libre à tous de croire qu'ils sont hyperréactifs aux amines ET aux salicylates ET aux sulfites ET aux benzoates... et donc de se pourrir la vie, et celle des proches, avec des évictions en cascade.
Libre à moi de leur rappeler qu'ils se trompent d'ennemi (ils aboient au pied du mauvais arbre, dit le dicton anglais, quand le chat s'est déjà réfugié autre part - they bark up the wrong tree). Ces multiples réactogènes ne s'expriment que tant que les organes sont épuisés ou surstimulés (trop d'orthosympathique, pas assez de place pour le parasympathique) ou tant qu'un réactogène maître est maintenu dans l'assiette ou dans l'environnement. Ces réactivités sont arrivées petit à petit, à la faveur du déni de la situation. Ces réactivités associées ne se signalent d'ailleurs pas lorsque le mangeur pratique les sages rotations que je suggère dans le topo Nourritures vraies.
En Naturoland, on vit dans une atmosphère d'évictions: il faut manger SANS. Sans gluten, sans sucre, sans viande, sans soja, que sais-je. On ne sait pas ce qu'il faut manger, mais on sait ce qu'il ne faut pas manger. Mon discours ci-dessus tombe comme un cheveu dans la soupe. Oh, c'est si confortable de croire qu'en excluant un ennemi tout va se réguler... Ne me dites pas qu'il faut repenser le système globalement, la distribution des richesses nutritionnelles, l'équilibre des forces en présence. Et pourtant c'est la seule solution.
Dans ce topo expert à venir, je répéterai sous de multiples formes mon refrain: repensez l'équilibre global, les rotations, les nourritures vraies, avant de vous enfermer dans des évictions vaines. Et puisqu'on ne peut nier les réactogènes, agissons efficacement en recherchant le réactogène maître, celui qui ébranle tout le système. Les autres ne sont que des manifestations nannexes.
Repenser l'assiette signifie aussi repenser la place de l'assiette dans l'arsenal thérapeutique. J'insisterai aussi sur les autres piliers de santé que l'alimentaire, comme je l'ai fait dans Quand j'étais vieille et dans son topo expert En finir avec le burn-out. Je trouve formidable qu'en quelques années l'inconscient collectif soit arrivé à concevoir l'assiette comme un remède. Mais le défaut est que bien des mangeurs ont des attentes excessives: ils croient tout régler avec l'alimentaire. On ne peut aider certaines des situations désespérées par l'alimentaire uniquement. La gamme des troubles que l'on peut régler avec l'alimentation est immense, mais ce n'est pas pour cela que l'on peut tout régler chez tout le monde.
Le livre "Enfants sereins" est associé à "Canaris de la modernité". Le premier est un livre très pratique, il se destine aux parents d'enfants atypiques qui ne veulent pas se prendre la tête: de l'action, des recettes, des plans pragmatiques pour que les enfants plébiscitent la nouvelle assiette. Le topo "Canaris", lui, s'adresse aux parents plus curieux des tenants et aboutissants de cette approche "Mes nerfs en paix".
La prochaine édition d'Enfants sereins contiendra quelques changements.
Elle ne paraîtra pas en version papier mais sera distribuée en plusieurs chapitres, en digital et gratuitement.