taty lauwers

cuisinez selon votre nature

en quête d'un devenir-soi nutritionnel

  Malentendu sur le caractère ressourçant de l'huile de colza


Extrait de l'ancienne édition 2010, exclu de la réédition 2015 pour des raisons de place.

Voilà quelques années que les nutritionnistes nous proposent de consommer de l'huile de colza en alternance avec l'huile d'olive. D'où vient cette mode ? Est-ce une bonne idée de la suivre aveuglément, même si cette huile est réputée être une bonne source de monoinsaturées (60%) et d'Ω−3 ? 

Le mangeur mal informé pourrait croire se faire du bien en cuisant à l'huile de colza riche en Ω−3, vierge première pression à froid. Selon le docteur Jacques Fricker, nutritionniste français, il resterait des Ω−3 dans les huiles cuites. On pourrait donc cuire à l'huile de colza qu'il promeut. Ah ouais ? Sûr de sûr ? L'analyse chimique en laboratoire démontre certes la présence de molécules. Mais la pratique de nutrithérapeutes comme Kousmine nous a familiarisés depuis des dizaines d'années avec les vertus des Ω−3 bien avant que ces acides gras ne fassent la une des journaux. Cette longue pratique a permis d'observer que les huiles polyinsaturées comme les sources d'Ω−3 devaient être saines et crues pour être bénéfiques.

On peut même relativiser cette récente mode de l'huile de colza, ce qui règle le problème de la cuisson, n'est-ce pas...

Dans un article de Sally Fallon et de Mary Enig: La grande farce du colza*1, vous lirez en anglais une explication technique claire sur la sottise de quelques affirmations rumeurant sur le ouaibe quant aux dangers de l'huile de colza, hypothèses dérivant des récentes manifestations de cas d'allergies à cette huile modifiée. Dans leur article, les auteurs détaillent surtout l'histoire qui se cache dans les coulisses marketing de ce dernier succès industriel qu'est la promotion de l'huile de colza modifiée.

Partons d'une affirmation typique des nutritionnistes (classiques ou alter-), par exemple : « L'huile de colza est la plus intéressante car c'est la seule à être riche en acides gras mono-insaturés et en acides gras Ω−3 » selon le docteur Jacques Fricker et Dominique Laty, dans Le Régime Crétois : Bienfaits et Recettes pour la Vie d'Aujourd'hui .

On aimerait que le texte indique plus clairement « la nouvelle huile de colza » ou « l'huile de colza modifiée », parce que l'huile de colza qui a été consommée depuis des siècles en Asie n'est pas l'huile de colza que vous achetez aujourd'hui, qui est produite à partir d'une hybridation de la graine. Comment se fait-ce ? Il y a quelques dizaines d'années, l'huile de colza a été interdite après qu'on a supposé l'effet toxique d'un de ses composants (l'acide érucique), provoquant des lésions fibrotiques au cœur – observation controversée, dans la mesure où il semblerait que cet effet était observé chez les animaux consommant le tourteau, et non chez l'humain consommant l'huile, mais bon.

Dans les années 80, les instances gouvernementales et l'industrie se retrouvèrent coincées dans leurs injonctions huilières préalables, qui s'avèraient erronées sur le terrain selon les dernières recherches disponibles. Ils s'étaient « peints dans un coin » selon la très explicite expression anglaise en faisant la promotion des huiles riches en Ω−6 pour prévenir les maladies cardiaques. Les études commençaient à démontrer que des huiles riches en AGPI de ce type provoquaient quantité de problèmes de santé, y compris et surtout le cancer. Il restait à l'industrie la solution de promouvoir l'huile d'olive, mais zut alors, il n'y aurait jamais assez d'olives pour le monde entier.

Or, c'est le monde entier mon marché à moi que je peux l'inonder, se dit l'industriel. De plus, la mise en place d'huile d'olive dans les produits manufacturés les rendrait trop chers. Le colza, lui, pousse en une saison et a un coût bien plus bas. Parfait pour mes marges bénéficiaires, se dit le filou, euh pardon, le même fin industriel. En outre, à cette période, des chercheurs canadiens venaient d'arriver à produire, grâce aux toutes fraîches techniques de manipulations génétiques, une huile à partir d'un colza qui avait été hybridé en vue de réduire cet affreux acide érucique et d'augmenter sa teneur en merveilleux acide oléique. Afin que le consommateur averti ne repousse pas ce nouveau produit, se souvenant du vilain colza « d'avant » (rapeseed  en anglais), des marketeurs lui attribuèrent en 1978 un nouveau nom : « canola » (Can-adien et ola, soit huile).

Dès 1990, l'huile modifiée de colza connut un franc succès chez les nutritionnistes américains. Pour avoir travaillé dans le département lobbying d'un grand cigarettier, je ne suis pas surprise de voir comment l'industrie a utilisé la media-vidéocratie pour imposer en dix ans seulement ses nouvelles inventions : le sponsoring de conférences « scientifiques », la promotion auprès des consommateurs avertis par le biais d'articles commissionnés dans les magazines de santé et l'aide à la publication de livres écrits par des médecins, tel que la doctoresse A. Simopoulos, auteur d'un livre de cuisine vantant les bénéfices des Ω−3 (The Oméga Plan en 1998 et The Oméga Diet en 1999).

Des auteurs américains à succès comme les docteurs Andrew Weil et Barry Sears les conseillent, cela ne peut qu'être excellent ! Le marketing a été efficace : je ne connais pas un seul nutrithérapeute qui ne recommande aux consultants, de vive voix ou dans des écrits, de toujours mieux choyer ses apports en Ω−3 en utilisant de l'huile de colza en cuisine.

Je n'utiliserais pourtant pas chez moi cette huile de colza modifié, même bio, parce qu'on dépasse vite la dose utile d'oméga-3 et qu'aucune étude à long terme sur des humains n'a été effectuée. Les études sur les animaux affichent de tels résultats sur la santé qu'on peut douter du pouvoir rédempteur des Ω−3. Ces nombreuses études sont citées dans l'article original en anglais que je résume ici. J'en transmets une parce qu'elle fait partie de la collection d'études qui démontrent qu'à trop vouloir s'oméga-3-zer on risque les troubles qu'on essaie d'éviter !

En 1979, les chercheurs du Canadian Institute for Food Science and Technology ont compilé 23  études sur des rats, provenant de quatre laboratoires indépendants. Toutes ces études envisageaient l'impact des huiles (dont l'huile de colza) sur les cas de lésions cardiaques. Le résultat ? Les graisses saturées (acides palmitique et stéarique) protégeaient des lésions cardiaques, mais la consommation de hautes doses d'Ω−3 était correlée à de hauts taux de lésions.

Le même groupe de recherche a publié un rapport en 1982 sur un autre aspect des contenus des huiles. Une phrase de la conclusion : « Les résultats soutiennent l'hypothèse que les lésions myocardiaques chez les rats mâles dépendent de l'équilibre des graisses alimentaires et non pas d'éventuels contaminants cardiotoxiques présents dans les huiles ».

Dans la plupart des autres études sur animaux citées, la supplémentation en huile de colza modifiée résultait en problèmes de santé (provoquant des déficiences en vitamine E, modifiant les taux de plaquettes sanguines, retardant la croissance), sauf si on ajoutait simultanément des graisses saturées. J'ai l'oreille qui chatouille quand je lis que la Food and Drug Administration interdit l'huile de colza modifié dans les laits maternisés.

De plus, l'huile de colza peut contenir jusqu'à 4.6 pour cent d'acides gras trans (selon les chercheurs indépendants — les producteurs annoncent 0.2 pour cent). Ces formes chimiques nouvelles sont générées par la désodorisation, car les Ω−3 rancissent vite et comme ça « sent  » la graisse rance, il est impératif d'ôter ces odeurs. Sur la foi des vertus chantées dans les medias, des mangeurs choisiraient naïvement des biscuits au colza, mais lorsque cette huile est hydrogénée pour les traitements industriels, elle peut contenir jusqu'à 40% de ces acides gras trans.

On pourrait avancer que l'utilisation quotidienne de l'huile de colza par de larges populations depuis des siècles serait garante de son innocuité. Mais enfin, ce n'était pas le même produit ! Le nouveau colza est tout autre. L'article Fallon/Enig détaille l'utilisation traditionnelle du colza en Chine, Inde, Japon et, surtout, les traitements traditionnels (à basse température, sans désodorisants et sans solvants chimiques, bien sûr !).

La conclusion des auteurs de l'article susmentionné (et de Bibi, par la même occasion) ? Consommez de l'huile de colza modifiée si vous n'utilisez pas d'autre apport en oméga-3, et ce, en restant conscient du risque de dépasser les doses physiologiques..

Consommez-en si vous êtes en toute bonne santé et si vous mangez une belle dose de saturées par ailleurs, puisque c'est la condition pour que les oméga-3 soient bien métabolisées.

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