17.9.24 On peut discerner entre le rationalisme (qui divinise le matérialisme, le mécanicisme, le rationnel sans sensibilité au point de se comporter en secte) et la raison (l'emploi de la méthode, de la rigueur, de la logique dans l'étude d'un sujet).
Le XXè siècle nous aura apporté un peu plus de rigueur et de méthode dans l'étude de la nutrition. Etait-ce un bien, était-ce un mal? Un peu des deux, mon général.
Nous sommes arrivés à un stade où cette approche de rigueur se confond hélas! avec une vision technologiste pure du devenir des aliments dans notre corps, ou même de leur composition avant d'être consommés.
Si la raison nous a aidés depuis un siècle à comprendre la puissance thérapeutique de certaines diètes, le rationalisme, qui est la raison posée en religion, nous ferait prendre des vessies pour des lanternes - comme croire qu'à calculer des dosages précis de nutriments et de calories, on peut se sauver. Oh, la boulette!
Il est à mes yeux essentiel de comprendre qui, parmi nos interlocuteurs (en particulier les coachs sportifs), font partie de la mouvance techno-rationaliste. On pourra ainsi enfin dialoguer, sachant qu'il faut construire un pont entre nous. Je semble enfoncer des portes ouvertes, certes. Il est toujours utile de verbaliser ce qui, parfois, reste dans un ressenti flou. Combien de fois n'ai-je pas assisté à des dialogues de sourds: l'un n'utilisant que la logique (dans un domaine comme la nutri, qui tient plus de l'art que de la science, c'est piquant), l'autre se référant à ses expériences variées, qui, la nature oblige, sont hors du champ de la raison pure.
Il est malaisé de démêler le quiproquo pour une raison subliminale: les empiristes (du crudisme, du carnivorisme, du jeûne hydrique) veulent jouer au laborantin et se réfèrent à moult études cliniques qui démontrent la justesse de leurs dires. Après 30 ans en nutri, je souris encore quand je dépiaute les sources qu'ils relèvent. Ils savent probablement qu'après une présentation orale (vidéo, conférence), personne ne vérifie les sources annoncées; qu'après un billet de blog, une personne sur cent les vérifie (données statistiques américaines). Cas rare, un chercheur de nature ou un expert qui travaille précisément sur ce dossier, ira vérifier les sources.
Dans les 3 cas que je cite, soit les sources en littérature scientifique sont faibles (des cas d'étude individuels, des articles dans des revues anecdotiques ou des études épidémiologiques), soit les sources ne correspondent pas à ce qu'on veut démontrer. Prenons le cas du charmant docteur Fung, USA, qui a écrit un livre sur le jeûne. Il justifie la tenue d'un jeûne long en affirmant qu'il n'y aurait pas perte de muscle. Je vérifie la source: l'étude porte sur le jeûne alterné, soit un jour de jeûne suivi d'un jour d'alimentation ordinaire. Hé, là, gamin! Je te prends la main dans le sac, tu confonds 24h de jeûne et 2 semaines... Fung n'a certainement pas choisi cette source par malveillance, mais il croit tellement aux vertus du jeûne qu'il en perd un peu sa rigueur. Prenons un autre cas, similaire, la clinique allemande Büchinger, connue pour les cures de semi-jeûne (ils annoncent "jeûne", mais on y mange 250kcal), dont je viens de vérifier quelques sources. J'ai demandé à une chère amie leurs articles. Je crois aux vertus spirituelles du jeûne de plus de 48h sous forme de retraite, mais je ne crois aux vertus physiologiques du jeûne hydrique que s'il ne dépasse pas 2 jours. "Je crois": je m'inspire de recherches sur le sujet, mais, profane, je tiens un discours empiriste. L'équipe Büchinge vante les vertus de leur pratique, ça se comprend: "Les effets bénéfiques sur la santé du jeûne de longue durée (JL), qui dure plus de 4 jours et jusqu'à plusieurs semaines, sont de plus en plus documentés" (extrait d'une de leurs publications dans Frontiers in Nutrition). Voici un cas typique de voeu pieux en alternutrition et du défaut que je souligne, soit vouloir convaincre par des armes faibles. Je crois qu'inciter à tester une semaine ou plus de jeûne chez eux serait bien plus puissant.
En l'occurrence, sur les trois sources avancées pour soutenir leur affirmation "Les effets bénéfiques sur la santé...", je repère deux études sur le jeûne alterné - ce qui n'a rien à voir; et une source qui est leur propre publication dans Annals of Medicine. Les auteurs y repèrent les facteurs qui pourraient justifier le jeûne de longue durée, en amalgamant leur pratique avec la restriction calorique (CR) et le jeûne intermittent (IF) - deux pratiques tout à fait différentes. Pour leur propre pratique, ils soulignent des bienfaits tirés de la cétose, effet que l'on obtient en pratique LCHF/céto aussi - et même en ne mangeant que du riz blanc, à condition de limiter la dose quotidienne à 800kcal (la cure du dr Kempner, que j'ai découverte via Denise Minger, USA). LCHF et même céto sont plus faciles à mettre en place que le jeûne hydrique. La cétogénique a été inventée dans les années 1920 par des médecins traitant de jeunes enfants épileptiques, chez qui ils avaient validé les effets positifs du jeûne. Or, on ne peut conseiller un jeûne à un enfant. Ils ont découvert que la cétose contrôlée provoquait les mêmes effets;; qu'elle pouvait être maintenue de longs moiss.
Je n'ai rien contre le dr Fung, la clinique Buchinger ou les centres de jeûne (dont je vante celui de Martine Willot, Belge installée près d'Auxerre). Je les inviterais à ne pas prétendre à un fondement scientifique là où l'on ne trouve ni rigueur, ni méthode. Forcément, un esprit rationaliste comme celui de mes amis ingénieurs se fermera à leur discours, car ils y percevront trop de failles logiques.
La logique pure n'est pas l'amie idéale de la nutrition, comme je l'expose dans un de mes livres. Mais il faut désormais marteler cette évidence, tant nous sommes pris dans un tourbillon "c'est scientifique, donc c'est vrai".
Ceci vaut pour la triste évolution en neurosciences, qui enferme notre cerveau dans des certitudes qui auront l'air ridicules dans trente ans. Mais j'ai choisi la nutrition, restons-y.
Introduction sous la forme d'un extrait de mon topo "Nourritures vraies" (pages 22-23):
""Passionnée depuis toujours de science, il m’a semblé au début exaltant de faire se rejoindre la science et la cuisine. Mais peut-être est-ce précisément un des nœuds de la problématique actuelle.
Malgré ses extraordinaires avancées technologiques, la vision actuelle de la science est hélas réductrice et mécaniciste.
À réduire l’alimentation au Proliglu (protéines-lipides-glucides, nutriments de base) sans tenir compte des forces vitales des aliments, de la qualité des produits et de l’équilibre global du système physiologique, on en arrive à extraire les protéines des excréments de poulets de batterie pour en alimenter les bovins. Mais oui, ça se fait pas loin de chez nous.
À force de manipuler les aliments pour des raisons d’industrialisation (demandée par le consommateur, bien sûr, mais oui, et puis quoi encore...) et de caractérologie humaine (passion de chercher, de tester, de pénétrer les mystères de la nature — autre sujet de débat), on dénature les composants des aliments sous des formes auxquelles le système digestif n’a pas eu le temps de s’habituer en cinquante ans.
Intermède "Faute de préciser quelle devrait être la qualité des aliments recommandés, il est peu probable que l’alimentation puisse nous être un remède."
Notre vision est aussi parfois obnubilée par la vision occidentale de la nutrition : tout se résumerait à des micro- et macro-nutriments. Il est des formes de vie et d’organisation de la matière que d’autres civilisations ont appréhendées différemment. Il est intéressant de porter de temps en temps un éclairage sur notre version de la nutrition à partir des enseignements de l’énergétique chinoise ou de la médecine indienne (ayurveda). Les cristallisations sensibles, technique édifiante développée par les biodynamistes, sont une autre façon de visualiser les forces de vie des aliments. Voilà qui permet de compléter la vision simplificatrice des teneurs en vitamines et en minéraux.
Enfin, le juste milieu consisterait aussi à considérer l’effet de choix éthiques profonds sur le bien-être.
Lorsque je façonne un pain au levain, cela reste un émerveillement pour moi à chaque pétrissage de pouvoir modeler un bourgeon de vie à partir de grains d’amidon et d’eau.
En nourrissant le pâton de levain de la semaine dernière pour produire le nouveau pain, je songe plus d’une fois que l’avenir n’est jamais composé que des bribes du passé, que nous ne sommes que des maillons d’une grande chaîne.
J’en appellerai aux philosophes de la cuisine pour de plus solides développements sur le sujet.
Je pense aussi à la fragmentation intérieure que peut provoquer l’inadéquation entre ses choix moraux et ses options de vie.
À titre personnel, je peux témoigner de la paix intérieure qui naît à acheter les aliments en cohérence avec mon envie de respecter la dignité du paysan, d’ici ou d’ailleurs, à trouver le temps de cuisiner, même quelques instants par jour, plutôt que de continuer à vitupérer en vain contre les pestilentiels procédés de l’industrie agro-alimentaire.
En quelques mots, l’algèbre en nutrition est un passage obligé, nécessaire mais largement insuffisant.
Les autres extraits du livre Nourritures vraies sont sur https://www.editionsaladdin.com/nourrit/bonus.html
Je continue sur le rapport d'un patient à son médecin, lorsque leurs paradigmes diffèrent; rapport aussi difficile que celui d'un mangeur avec un nutritionniste techno quand le mangeur est plus holistique que techno.
En approche holistique de la santé, qu'elle soit homéo ou autre, le patient est souvent en porte-à-faux avec les médecins classiques qu'il rencontre lorsqu'il a besoin d'un spécialiste. C'est mon cas depuis toujours: autant je me sens entendue et comprise par mon homéopathe, même si je ne me soigne pas avec ses produits particuliers, autant quand j'ai fréquenté des oncologues ou des gastroentérologues, le dialogue ne passait pas. Ni d'un côté ni de l'autre.
J'ai mis le temps à comprendre, ce qui me permet désormais un rapport plus serein à cette médecine conventionnelle. La prochaine fois, je saurai comment leur parler, puisque je saurai ce qui nous distancie dans les visions du monde. Je partage ici mon hypothèse.
Passons par un exemple extrême pour illustrer le propos: pensons aux multimilliardaires qui se prennent pour des biologistes et qui veulent maîtriser notre santé au travers de leur puissance financière. J'ai trouvé une animation qui montre en images comment ces apprentis sorciers voient la physiologie:
texte vidéo en anglais (2021) - original en allemand (2014)
En gros, ils voient le corps comme le voyaient les Allemands des années funestes, qui ont précédé l'industrialisation de la mort par les Nazis. C'est une caricature, faisons court: les transhumanistes de la Silicon Valley sont les enfants des théoriciens allemands des années '30.
Le poster d'inspiration est de Fritz Kahn et date de 1927. On peut comprendre qu'à l'époque on ait encensé une vision aussi enfantine et primaire de la physiologie, qui présente le corps humain comme une "usine bio-chimico-électrique". On était encore dans l'admiration de la révolution industrielle. Gardons le "biologique", le "chimique" et "l'électrique". En revanche, il est temps de virer le terme "usine".
En effet, le corps humain est un système dynamique aussi complexe que le sont les tourbillons. On a beau l'étudier, le fond nous échappe toujours. On comprend qu'il est agi par des forces biologiques et électriques, mais le principal nous est encore inconnu. Une preuve? La seule branche de la médecine qui soit vraiment efficace est la chirurgie. Lorsqu'on retire un morceau (amputation) ou un intrus (dans le cas du cancer), il ne faut pas avoir de vision fine du système. Toutes proportions technologiques gardées, on opérait déjà avec succès du temps des Romains, qui étaient bien loin de nos "connaissances" actuelles.
Là où nous, amateurs de santé holistique, ne nous entendons souvent pas avec quelques médecins conventionnels, c'est lorsque ces derniers se montrent encore enfermés dans une vision "d'usine", si typique de la modernité rationaliste. Qu'au sortir de la fac' ce soit le cas, ma foi, on le comprend: les jeunes étudiants ont eu le cerveau martelé pendant 8 ans. Qu'après quelques années de pratique, le médecin pratiquant en conventionnel n'ait pas accepté l'idée que bien des choses lui échappent, dans cette vision réductrice, voilà qui explique pourquoi on ne se comprend pas, lui et moi.
Pour aller un peu plus loin, je pense que l'interventionnisme de bien des médecins, qui savent mieux que nous, qui veulent nous guérir malgré nous, quels que soient les effets indésirables de leurs potiquets, tient à leur angoisse profonde. Hypothèse: ils voient bien l'impasse de cette vision et de la pratique qui en découle (la surprescription), mais ils la nient. Forcément, cette dissonance finit en angoisse, qu'il est plus facile de projeter sur le patient. Pauvre de lui!
Gloire soit rendue au dévouement de cette profession, depuis les infirmiers aux urgences jusqu'aux spécialistes en passant par le généraliste de campagne. Ceci étant posé, il n'est pas interdit d'apporter une lumière sur les raisons d'un possible dialogue de sourds.
* La faille du rationalisme: "16.10.2021 En ces temps de secousses sismiques au coeur de notre âme collective, j’ai envie de parler de la faille du rationalisme (alias la rationalité montée en religion)." https://taty.be/articles/cvd_rationalite.html
* Les biais cognitifs et la raquette de ping-pong: "3.8.2021 Pourquoi je ferme les yeux et les oreilles dès qu'on me balance la notion de "biais cognitif". Ou pourquoi je ris et ne débat plus dès qu'on en cite un..." https://www.taty.be/articles/CVD_biaiszete.html
Dans la famille "techno de la nutrition", que je ne renie pas mais que je remets en contexte dans le billet précédent, l'ingénieur Marty Kendall est une grande pointure.
Il a choisi de lancer une rumeur, comme il dit avec humour (là où ses articles ne sont que fondés sur de la statistique et de la logique): la rumeur selon laquelle l'efficacité nutritionnelle d'une diète tient à sa teneur en nutriments et la satiété qui en découle (ce qui mène, tout naturellement, à l'arrêt des grignotages et du sur-manger - le principal frein à une vie saine).
Depuis dix ans, il construit sa théorie à l'aide d'enquêtes sur le terrain du net (il ne consulte pas).
A mes yeux, il est remarquable dans la mesure où il accepte de discuter avec une profane de province comme moi. Il existe deux métiers qui savent tout mieux que les autres: les ingénieurs et les médecins. Dur, dur, de dialoguer avec eux, en général.
Ici, rien de cela. Par exemple, il accepte mon approche de Profilage alimentaire comme une autre pièce du puzzle, ne considérant Optimal Nutrition que comme une partie du réel. La vision du profilage s'entrechoque en effet avec le résultat de ses études puisque, sans étude cette fois, mais une longue expérience de terrain, j'énonce qu'un aliment qui apporte satiété à l'un n'est pas aussi efficace pour un autre mangeur.
Dans sa méthode Data-driven Fasting (qui n'est pas un vrai jeûne, mais une forme de jeûne intermittent), il apprend aux amateurs à retrouver leur norme propre. Par exemple en suivant leur glycémie avec un appareil ad hoc *avant* de manger, si j'ai bien suivi.
Découvrir sa façon d'analyser la nutrition, si nouvelle: https://optimisingnutrition.com/tried-every-diet/
Traduction par Bibi de l'intro:
Bienvenue chez nous! Bienvenue chez Optimising Nutrition, où vous trouverez un foyer réunissant des milliers d'autres mangeurs qui ont échoué lors de nombreux régimes et qui sont maintenant heureux.
Notre quête est centrée sur les statistiques: nous avons voulu comprendre pourquoi tant d'approches diététiques fonctionnent jusqu'à ce qu'elles ne soient plus efficaces, que ce soit le jeûne, la céto, le régime pauvre en glucides, la cure carnivore, l'hypervégé ou... [insérer le libellé de la prochaine mode diététique ici).
Lire la suite sur https://optimisingnutrition.com/tried-every-diet/.
(traduction automatique par robot en temps réel: vous connaissez, sinon posez la question en commentaires)
Vu régulièrement passer cette affiche en annexe sur les RS. Encore vue ce matin.
C'est une illustration pratique de mon discours: c'est le rationalisme en nutrition, ce qu'on appelle le nutritionnisme et que je nomme "la nutrition algébrique réductrice", qui a ouvert la porte à ces niaiseries. Porte ouverte à la réaction immédiate (le surf "réactif" sur le net) plutôt que réflexif. Porte ouverte à toute propagande, que surutilisent ceux qui vantent des régimes excessifs.
1/ Enfermer la puissance des aliments dans des chiffres ne peut que mener à des amalgames de ce type.
Le péquin voit des chiffres, c'est donc non négociable, ça doit être scientifique. Biais de communication courant et facile.
2/ A minima, il faut vérifier les doses affichées. Qui le fait?
Allez vérifier par exemple sur la base de données officielle FR: https://ciqual.anses.fr/#/constituants/10260/fer-(mg-100-g)
3/ Sur l'image 2, on verra que, même en la regardant comme un comptable de la nutri, les choses ne sont pas si simples. (cliquer pour agrandir)
Pour les algues, on trouve de 29.6 à .... 2580 mg par 100g. Fiabilité?
Le sang de boeuf, lui, a des valeurs min/max assez proches.
On notera que chaque valeur est liée à un "code de confiance" ("échelle de fiabilité allant de A (le plus fiable) à D (moins fiable). La fiabilité est principalement estimée selon la représentativité des données par rapport au marché français, leur année et la qualité de la méthode analytique.")
Voilà qui permet une mise en contexte et en perspective un peu plus fine qu'une affiche de propagande.
4/ Même si leu fourchette de valeurs semble fantaisiste dans la table Ciqual, on pensera aux algues, miam, on aimerait tant! Mais on oublie les métaux lourds (et peut être les microplastiques? question ouverte) qui seront consommés en même temps.
5/ Et enfin, ces tables, si rassurantes, ne disent rien de la biodisponibilité du fer dans ces systèmes dynamiques complexes que sont nos organismes - par ailleurs si différents les uns des autres.
C'était ma petite leçon pratique du jour, qui sera un intermède pragmatique dans le dossier en cours. Avez-vous si peu confiance dans votre écoute personnelle que vous ayiez besoin de tableaux pour vous convaincre de manger sans viande? Quelle époque, où nous sommes si décentrés qu'il faut parler à notre mental comptable pour que le corps entier, peut-être, s'en trouve mieux (si, par hasard, vous êtes de profil végé).