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Ivan Illich et Elli Lilly

27.10.2024 Si l’on veut penser son rapport à la santé et aux conseils conventionnels, il faut relire Jacques Ellul et Illich, les pionniers de la critique d’une techno-hygiénocratie - ou Roland Gori pour une version plus récente. Ces lectures nous aideront à nous repositionner dans un monde perverti par la peur de la maladie et notre recours à des surinterventions pour calmer ces angoisses.



Plus jeune, j’avais deux maîtres: Jean Ziegler et Ivan Illich. Ecouter ce dernier en audio sur France culture (1972) -> https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/rencontre-avec-ivan-illich-1ere-diffusion-12081972 (35 minutes)

Il était visionnaire sur la technicisation, la déshumanisation, y compris dans le monde médical. Il a parlé et écrit dans le vide, de toute évidence si on juge de notre Monde de la Norme Froide.

«L’école obligatoire, la scolarité prolongée, la course aux diplômes, autant de faux progrès qui consistent à produire des élèves dociles, prêts à consommer des programmes préparés par les «autorités» et à obéir aux institutions. Alors, comment la changer cette école ?»

Je respecte aussi Illich pour sa cohérence : grand pourfendeur de l’hypermédicalisation, il a été, dans ses actes, fidèle à ses paroles. Il a soigné son cancer (gorge je crois) avec des techniques alternatives, refusant les chimios conventionnelles. La tumeur a tenu longtemps, mais lui aussi! En souffrant, mais sans être diminué par le traitement. J’admire cette cohérence, car en cas de crise nous sommes tous plutôt Elli Lilly qu’Illich par trouille de la douleur (pour l’allitération: Elli Lilly est un grand labo pharma). Or, il était bien informé, ce n'est souvent pas la tumeur qui tue vite, mais... les traitements trop durs.

Pour l’anecdote, je le lisais alors mais je crois que je ne comprenais rien. Maintenant c’est plus clair ;) Combinez la lecture avec la consultation de l’indispensable Némésis Médicale d’Ivan Illich. Initialement publié chez Seuil en 1975, ce tome est désormais disponible via ses Œuvres complètes, chez Fayard, 2004 (où sont aussi publiés :  Libérer l’avenir - Une société sans école - La convivialité -  Énergie et équité). A défaut de temps, lisez un article de présentation: Némésis médicale, L'expropriation de la santé  .

Ivan Illich, l’homme qui avait tout vu venir

Ce n'est ni la première ni la dernière fois que je mentionnerai le grand Illich. Ci-dessous une ode à Ivan Illich, négligé par la gauche en son temps: "Ivan Illich - L'homme qui a libéré l'avenir " : https://www.ouest-france.fr/culture/livres/ivan-illich-l-homme-qui-avait-tout-vu-venir-6990764. Négligé malgré ses thèses humanistes, de défense des démunis: bizarre pour une mouvance de gauche? Eh non! La gauche est traditionnellement une adoratrice du progrès. Quelqu'il soit, le technocritique est banni. Aussi simple.

La gauche a une vénération pour le scientisme, le progrès à tout prix, l'industrie, le contrôle de l'état - exactement tout ce qu'Illich, avec Ellul et Charbonneau, dénonçait. Et qu'on a vu magnifié au cours de la crise en cours.

Article autour de Ivan Illich, l’homme qui a libéré l’avenir, Jean-Michel Djian au Seuil, 233 pages, 19 €. Ouest France:

"Prêtre, écologiste, critique systématique de la société de consommation et des institutions, porté aux nues puis oublié. Ivan Illich, l’homme qui a libéré l’avenir, le livre écrit par Jean-Michel Djian, raconte le visionnaire qu’il était.

Jean-Michel Djian, journaliste, écrivain et producteur, vient de consacrer un livre à Ivan Illich, un penseur de l’écologie politique et une figure importante de la critique de la société industrielle.

Né à Vienne en 1926, d’origine croate par son père et allemande par sa mère qui vécut en Bosnie, prêtre devenu philosophe, Ivan Illich fut un intellectuel visionnaire et exigeant. Comment le résumer ?

Il a été le premier lanceur d’alerte. Humaniste radical, il anticipa le futur avec une troublante précision, sur l’école, la santé, la ville, les transports. Il fut un écologiste avant l’heure que la gauche a oublié d’embarquer dans ses bagages pour préparer le XXIe siècle. Dommage, on aurait gagné un demi-siècle !

Votre première rencontre avec lui ?

C’était en 1999, près de Mexico. Un séisme venait de frapper la région. Il s’étonnait que les scientifiques n’aient pu en mesurer la gravité, soulignant que l’on ne savait plus écouter les paysans. « Notre civilisation croit savoir ce qu’elle gagne avec les outils, me dit-il, mais elle ne sait pas ce qu’elle perd en dédaignant l’intelligence intuitive des hommes. » Il m’avait fasciné.

Il n’a pas été entendu ?

Au lieu de prendre en compte ses idées qui auraient permis de bâtir l’avenir après le choc pétrolier, en 1974, on a fait exactement l’inverse. L’heure était au repli, à l’individualisme.

Il a prédit les difficultés des villes d’aujourd’hui.

Il a expliqué dans le moindre détail comment la ville génère des perversités redoutables. On se moquait de lui quand il parlait des circuits courts ou annonçait la présence massive de vélos dans des villes. Les seuls à le prendre au sérieux furent le maire de Montréal et Michel Crépeaud, celui de La Rochelle, qui développèrent la pratique du vélo. Il mettait en cause les institutions qui grossissaient trop vite. Il annonçait que l’hôpital allait créer des maladies nosocomiales. Beaucoup riaient à l’époque, mais c’est ce qui s’est passé. La gauche ne l’écoutait pas.

Avec la gauche, c’est un rendez-vous raté.

La gauche aurait pu s’emparer de l’écologie radicale d’Illich qui pensait qu’on pouvait vivre ensemble sans une croissance effrénée. Elle ne l’a pas fait. Il avait réussi à penser des politiques scolaires, sanitaires, urbaines. Mais elle voulait le pouvoir avec une rage qui emportait tout. L’idéologie du communisme et du socialisme marxiste c’était le productivisme, les usines, le monde ouvrier, la fumée, le travail. C’est aux antipodes des thèses défendues par Illich.

Michel Rocard, lui, s’inspirait d’Illich.

Oui, il lance l’écologie politique en 1988 quand François Mitterrand le nomme Premier ministre. Il choisit Brice Lalonde, formé aux thèses d’Illich, comme ministre de l’environnement. Mais Mitterrand n’avait rien d’un écologiste radical. Il est resté quatorze ans au pouvoir et on a oublié Illich. Alors que Valéry Giscard d’Estaing n’avait qu’un souhait, rencontrer Illich qui portait la vision d’une politique capable de rendre les démocraties vivables sur le plan spirituel et pas seulement matériel. Edgar Faure, grand lecteur et grand érudit, a créé le centre universitaire expérimental de Vincennes, devenu l’université de Paris-8-Vincennes-Saint-Denis, en s’inspirant du centre de recherche d’Ivan Illich.

Ordonné en 1951, quel prêtre était Ivan Illich ?

C’était un ascète habité par l’« Évangile dans le texte » et par la volonté de faire le bien d’autrui. Il était promis à un brillant avenir à la curie romaine mais choisit de rompre avec une institution qu’il voyait comme « une énorme machine bureaucratique ». Il n’a jamais renié sa foi, jamais renié le principe de l’Église mais s’en prenait à l’Institution qu’il estimait pervertie, à « ceux qui mettent l’Évangile au service du capitalisme ou de toute autre idéologie ».

Il s’en prenait aussi à l’État.

Il avait prévu l’effondrement des idéologies, annonçant que ce qui nous attendait de plus pervers était que l’État deviendrait le fédérateur de nos angoisses. La vision de l’État comme réponse à tous nos problèmes était pour lui une perversité de la démocratie. Aujourd’hui, la gauche comme la droite n’ont plus que l’État comme réponse. On cherche le surhomme, mais il n’existe pas. On conteste le pouvoir sans savoir pourquoi. Il l’avait prédit.

Il critiquait même des engagements a priori solidaires.

Il estimait que le vrai mobile de l’Occident n’était pas d’aider le Sud mais de conquérir des parts de marché ou, pour l’Amérique des années 1960, de parer l’influence du communisme. Aujourd’hui l’humanitaire pâtit encore de ça et peut-être parfois d’une absence de conscience critique. Lui pensait qu’il fallait s’interroger collectivement pour trouver le chemin de ce qu’il estimait central : la charité, en s’appuyant sur les textes sacrés.

C’était un utopiste ?

Un prophète, pas un utopiste. L’utopie est un monde irréel. Lui a décrit le monde réel pour prédire ce qui allait se passer. Il a dit pourquoi la planète courrait à sa perte si elle ne changeait pas de mode de développement. Il plaçait toujours l’homme au centre, et œuvrait pour que les gens puissent vivre ensemble.

Même l’école subissait le feu de ses critiques.

Sa condamnation du système scolaire était sans appel. Si la démocratie consiste à laisser l’école telle qu’elle est pour générer des cohortes de gens qui ne sont pas instruits, ils voteront sans esprit critique, avertissait-il. Là encore, cet avertissement résonne particulièrement aujourd’hui avec la réalité des décrocheurs. Ou avec cet appel du marché à suivre des cours payants, en dehors de l’école. Il est malsain et nourrit l’idée que l’école publique ne fait pas son travail.

Pourquoi ne s’est-il pas engagé en politique ?

Quand on le lui demandait, il répondait : « Je ne crois pas à la manière dont l’écologie est gérée politiquement. » Il ne croyait pas au parti écologiste et s’en est éloigné très vite, voyant dans les écologistes des idéologues qui se sont mis en tête que la nature doit être protégée à n’importe quel prix. Il avait une conception sociétale de l’écologie, où l’homme doit trouver sa place.

Avec la polémique sur le Tour de France ou le sapin de Noël, on est loin d’Illich ?

C’est la caricature de ce qu’Illich reprochait aux écologistes. Le Tour de France, c’est l’histoire du pays et des gens. S’il a des progrès à faire sur le plan environnemental, discutons, améliorons les choses. Le sapin de Noël, c’est le comble. Cela fait partie du roman national. Ce n’est même pas une question religieuse. Les écologistes feraient mieux de contester les géants du numérique. Ça aurait une autre allure !

Quel type d’homme était-il ?

Un chrétien joyeux. Lors d’une conférence en Californie, après un long déjeuner, il emmène une dizaine d’amis écouter la messe. Dans l’église, tout le monde fait son signe de croix en silence. Lui plonge ses mains dans le bénitier et asperge tout le groupe. C’était sa façon d’exprimer le plaisir de la rencontre avec Dieu. Quand il est mort en 2002, en Allemagne, son assistant le découvre dans son bureau, assis sur sa chaise en position de méditation. Comme Rimbaud, il se voyait en passant de l’éternité."

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Préface du livre, par Edgar Morin:

"Nul doute que, en nos temps troublés, les idées d'Ivan Illich vont prendre un nouveau relief. Il y eut deux avertissements solennels en 1970 pour dévoiler cette course folle entraînant l'humanité vers le pire : le rapport Meadows sur la dégradation extérieure de la planète, et celui d'Ivan Illich dénonçant la dégradation intérieure de notre civilisation.

J'avais, moi-même, dans les années 70, été frappé par sa manière toute nouvelle de transgresser les idées reçues sur l'école, l'hôpital, les transports, pour mieux nous prévenir de leurs contre-effets, lesquels me sont apparus de plus en plus avérés. Alors que la société industrielle et consumériste avait trouvé son rythme, il fallait en effet quelque audace pour prévenir des effets pervers de la croissance et du pillage de la planète. On se souviendra aussi qu'on lui doit d'avoir prôné le mot " convivialité ", si peu usité à l'époque. Ce n'est donc que justice d'exhumer son œuvre et son destin en consacrant à Ivan Illich ce récit biographique inédit.

J'en suis d'autant plus heureux que l'occasion m'avait été donnée de permettre à mon ami Jean-Michel Djian, à l'époque rédacteur en chef du Monde de l'Éducation, de rencontrer l'auteur d'Une société sans école, en 1999, à Cuernavaca. Ensemble, nous avions, cette année-là et pour longtemps, créé le prix Le Monde de la recherche universitaire pour justement sortir des sentiers battus de la pensée et primer des thèses dépassant les clôtures disciplinaires."

Nous devons, en effet, comprendre une fois pour toutes qu'il nous faut relier les savoirs et la connaissance pour penser une nouvelle voie, mais aussi abandonner le mythe de l'homme maître de son destin et de la nature pour, ensemble, l'explorer."



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