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24.3.2025 Prudence et discernement dans vos recherches! J'ai hésité à titrer: "Rien n'a changé depuis le Moyen-Age: il faut croire le clergé et les Ecritures". J'ai plutôt choisi la citation du directeur du British Medical Journal, connue de beaucoup, mais peu connue du grand public. Grand public comme les sujets qui commenceraient des recherches sur les traitements en oncologie qu'ils choisiraient si la malédiction tombait sur leur tête, sujet de ce dossier.
Les media et l'ambiance scientiste du moment nous demandent de croire les études, "car elles sont produites par des scientifiques".
Or, le discernement est crucial ici, plus que dans tout autre domaine.
On ne va pas se lancer dans du pharma-bashing. Ce serait un comble de ma part, alors que mes meilleures amies à côté de l'argile, du bouillon de poule maison et des huiles essentielles, sont le paracétamol, la cortisone et des antibiotiques ;) Que serais-je sans Big Pharma lors des très rares chutes abyssales de ma santé?
Il est pourtant capital pour un profane d'entendre quelques échos provenant des couloirs de la recherche médicale. J'ai déjà exposé pourquoi nous, profanes, ne pouvons que relayer des analyses par des pros, vu qu'eux seuls sont les clefs pour juger de la pertinence d'une étude, de la validité de sa méthodologie, du ranking des chercheurs et du magazine, du sérieux des derniers, etc. J'ai émis quelques unes de ces raisons dans "Un étranger dans un monde étrange: la confusion à tous les étages", l'article d'introduction à ce dossier.
Je souris autant quand on m'envoie un "Une étude dit que" que quand j'entends "j'ai vu à la télé que".
Je traduis ici un récent éditorial de l'équipe WDDTY, cet excellent magazine qui propose une vision latérale du discours mainstream en matière de santé, orienté vers l'éducation des profanes à l'autonomie et au regard critique. Lynne McTaggart & Bryan Hubbard, rédacteurs du magazine What Doctors Do not Tell You, écrivent sous l'intitulé "Fraude en double aveugle":
Nous sommes parfois accostés par un sceptique autoproclamé qui nous dit des choses comme: “Il n'y a rien de mieux qu'une étude placebo robuste et en double aveugle.”
En plus de révéler la tristesse de leur vie, nos sceptiques s'accrochent aux idéaux de la science médicale, que les lecteurs réguliers sauront être un oxymore. La médecine est un métier qui s'habille dans le costume de la science - science qui n'est plus ce qu'elle était.
Dans le doute, jetez un oeil à un nouveau livre qui est venu à notre attention cette semaine. Malgré son titre décourageant ‘Unreliable: Bias, Fraud and the Reproductibilité Crisis in Biomedical Research’(Columbia University Press, 2025), le livre est dynamique et écrit par l'un des plus grands fromages de la recherche médicale, Csaba Szabo.
Il est à la tête de la section de pharmacologie et président du département d'oncologie, de microbiologie et d'immunologie de l'université de Fribourg en Suisse. Il est l'un des chercheurs les plus cités au monde.
Il dresse un tableau inquiétant. La soi-disant recherche médicale est un méli-mélo de comédie, d'erreurs, de fraude et d'appât du gain . Son carburant est l'argent pharmaceutique et l'avancement de carrière des chercheurs. La science pure est laissée, exsangue et agonisante, à la porte du laboratoire.
Un exemple: les lignées cellulaires sont les éléments constitutifs de la recherche biomédicale (NdT: ces lignées qui font l'objet de ces études que l'on nous pointe, pour nous convaincre que "X Y ou Z élimine le cancer du foie"). Parfois, elles viennent des humains, parfois des animaux—mais dans 5 pour cent des cas, les lignées sont mélangées: ce qu'un laboratoire pensait être des cellules de poumons d' humain provient en fait du pancréas d'une souris. En conséquence, tous les résultats déduites de cette étude seront dénués de sens (on sait que cela n'a jamais été un obstacle pour qu'une société pharmaceutique pousse en avant un nouveau médicament).
Szabo a souvent observé la fraude médicale. On lui a souvent demandé de relire en "peer review" (NdT: que j'aime écrire "pire review") des publications qui lui paraissaient clairement contenir une fraude. Ses propres recherches ont été plagiées et republiées dans des publications douteuses, issues d'un sous-sol situé dans des endroits comme Rawalpindi.
Il a également une expérience directe de la fraude. L'un des membres juniors de son laboratoire a simulé des images, à plusieurs reprises, pour plusieurs revues médicales. Mais la fraude n'est pas l'apanage des chercheurs juniors. Marc Tessier-Lavigne a été promu président de l'Université de Stanford avant qu'il ne soit découvert que plusieurs études publiées sous son égide alors qu'il était chercheur en laboratoire contenaient des données faussées. Confronté à des preuves accablantes, il a démissionné en 2023.
Pensons aussi à ce chercheur sur le cancer, lauréat du prix Nobel, dont 13 articles ont été rétractés, tous en raison de résultats potentiellement frauduleux.
Ces articles avaient pourtant été "relus par les pairs" avant leur publication: pourquoi ces données frauduleuses n'ont-elles été pas été repérées à l'époque? Comme le souligne Szabo, les examinateurs sont débordés et peuvent être plus axés sur la publication de leurs propres recherches, frauduleuses ou pas. Comme les relecteurs ne sont pas payés pour leurs travaux, ils sont peu enclins à passer du temps sur le travail des autres.
La fraude est si endémique que des articles entiers ont été inventés, comme l'ancien rédacteur en chef du BMJ Richard Smith l'a révélé dans un article de blog célèbre de 2021, intitulé: "Il est temps de supposer que la recherche en santé est frauduleuse jusqu'à preuve du contraire".
Il relate par exemple comment “Ian Roberts, professeur d'épidémiologie à la London School of Hygiene & Tropical Medicine, a commencé à avoir des doutes sur la déclaration honnête des essais après qu'un collègue lui a demandé s'il savait que sa revue systématique montrant que la réduction de mort par moitié grâce au mannitol lors d'une blessure à la tête était basée sur des essais qui ne s'étaient jamais produits. Il a donc entrepris d'enquêter sur les tests et a confirmé la fraude: l'auteur principal prétendait provenir d'une institution qui n'existait pas; il s'est suicidé quelques années plus tard. Ces essais ont tous été publiés dans de prestigieuses revues de neurochirurgie; ils étaient associés à plusieurs co-auteurs, dont aucun ne savaient pas qu'ils l'étaient jusqu'à ce que les essais soient publiés”.
Revenons à notre sceptique de concours, qui dit qu'il n'y a rien de mieux qu'une étude en double aveugle sur le placebo. Comme Gandhi l'a dit sur la civilisation occidentale, ce pourrait être une bonne idée!
Découvrir leurs articles sur le cancer (certains articles en accès libre)