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30.10.24 . J'aborde la série de pistes par le négatif, avant de se concentrer sur les sources fiables: on élimine d'abord les youtubeurs, alias la Cour des Miracles.
Ceci fait suite au dernier sur les trois mouvances en cours en cancérologie.
On commence par éliminer de nos sources fiables les youtubeurs, alias la Cour des Miracles, dès lors qu’on veut faire des recherches rationnelles autour des traitements du cancer. Cour des miracles : ça me plaît, même si la métaphore est foireuse, la pauvreté et la truanderie manquant sur ce réseau.
Youtube est le lieu de rendez-vous de tous les egos surdimensionnés. Difficile de trier le bon grain des givrés, qui annoncent sur leur chaîne qu'ils se sont "guéris" d'un cancer par le jeûne seul, sans opération, sans traitement. Qui peut vérifier leurs dires?
Véritables bateleurs de foire, ils trouvent un terreau favorable chez les amateurs que nous sommes. Qui ne rêve que ce soit possible? Un petit cancer, allez zoup, je médite, je jeûne et il se barre. Qui n'adore ces récits de héros modernes, qui ont lutté contre le dragon avec leurs petits bras, tout seuls?
Souvent, lorsque j'allais animer une conférence, on me présentait à tort comme "survivante du cancer, qui s'est guérie par l'alimentation". Chaque fois, j'ai dû refroidir l'ambiance et préciser que j'avais été opérée par un formidable chirurgien, ce qui m'a guérie; et que j'avais prévenu une possible récidive par une refonte radicale de mon hygiène de vie. J’ai donc empêché une rechute par l’alimentaire, ce qui est bien différent.
J'en profite pour donner un éclairage sur ma posture vis-à-vis du cancer et du monde médical. A 58 ans, mon père a été victime d'une erreur de diagnostic probable (secret médical, je n'en parle qu'en privé), et est mort des deux cycles de chimios qui ont suivi. Deux ans après, ma mère a subi l'ablation d'un sein, des chimios et des irradiations très douloureuses. Le dos aussi était brûlé! Un an après, métastases au cerveau, inopérabilité, pas de chimios, décès rapide. Dire que si on avait laissé le cancer de départ suivre son cours, elle aurait survécu peut-être dix ans, ce qui transparaît des données britanniques d'avant 1940.
Revenons au docteur L., cet efficace chirurgien qui m'a opérée et a dû retirer larga mano un mètre de colon ascendant, car la tumeur avec le temps était devenu un joli chou-fleur. "Avec le temps"? De fin 92 à mi 94, j'ai vu plusieurs médecins, dont des gastroentérologues, leur annonçant que j'avais un cancer. Aucun ne m'a crue.. Des rectoscopies n'indiquaient rien. Normal, j'insistais sur la forte douleur près du foie, pourquoi se sont-ils limités à des rectoscopies ?
L'histoire que j'ai vécue est une cascade de dénis. Le plus drôle: en toute fin de périple, en '94, je pouvais à peine marcher tant j'étais épuisée, mon médecin traitant m'a envoyée faire une échographie de contrôle à l'hopital de la ville. J'ai pu voir une grosse masse près du foie.
-- "Vous voyez, docteur, il est là mon cancer".
-- "Mais non, madame, vous devez être sérieusement constipée, ce sont des amas de selles".
L'hopital m'a renvoyée chez moi avec des anti-inflammatoires. J'ai dû mentir au téléphone pour être reçue en urgence par un célèbre gastro-entérologue ixellois... qui ne m'a pas crue non plus. Il m'a soignée pour un Crohn pendant quinze jours, après lesquels, l'inflammation réduite, on a pu procéder à une coloscopie. Le lendemain: "on vous opère illico, c'est un cancer".
Ah, merci, je ne m'en doutais pas.
Comprenez que j'ai une posture un peu plus distante que la moyenne, tant face au cancer que face au monde médical en général. On peut être confiante, mais garder l'oeil ouvert.
Revenons aux youtubeurs, envers lesquels j'ai aussi une distance de sécurité: certes, ils donnent du courage et envie de ne pas se laisser abattre. Mais à quel prix! Si on n'y met pas une bonne dose d'esprit critique, on finit par se laisser entraîner dans leur frais babil; on finit par croire que le cancer se dompte facilement.
Il y a deux mois, j'ai regardé une vidéo proposée par YT: un certain Fred racontait comment il avait guéri son cancer du côlon par diverses techniques dont la méditation et le jeûne suivi de carnivorisme. Enthousiasmant au possible de voir le combat de ce prof' d'arts martiaux. Le lendemain, j'ai pris le temps d'investiguer son histoire. Histoire triste: rechute rapide et décès. Histoire un peu arrangée aussi: le jeûne n'était pas voulu, mais lors d'un stage au centre Hippocrate (végane) il n'avait pu rien supporter de leur diète, le jeûne était sa seule voie de sortie - ce qu'il s'est bien gardé de dire lors de sa vidéo.
J'étais intriguée d'entendre qu'au départ il pratiquait non la cétogénique, mais la cure carnivore. J'étais curieuse des résultats à moyen terme, car, toute amateur de cette cure que je sois, je ne la pratiquerais pas en cas de cancer. Toutes les techniques anticancer que je connais, surtout en Naturoland, réduisent les doses de protéines lorsque le praticien veut résorber un cancer (en post-cancer, la donne change). Le professeur Seyfried, pape de la métabolique et spécialiste des glioblastomes, conseille la cétogénique pauvre en protéines.
Fred avait à un moment ajouté des jus de légumes fraîchement pressés (sur le conseil du Melliflu bien sûr; qui n'a-t-il pas entubé sur le net, celui-là?). Or, les docteurs Gerson et Breuss qui vantaient les jus frais pour lutter contre un cancer en conseillaient des doses faramineuses, et pas un petit jus de temps en temps. En outre, les pratiquants étaient suivis de près par un médecin, car lorsqu'on résorbe une tumeur naturellement, on peut en mourir, empoisonné (je résume à la louche).
Tant Fred que le Samouraï (GT) , youtubeur connu (menteur pathologique et egomane de concours), m'ont frappée par le fait qu'ils se soignaient seul, sans aide médicale, sur la base de ce qu'ils avaient glané sur le net. A la Cour des Miracles, quoi. J'ai bien vu passer un médecin traitant chez GT , mais d'un fantasque tel que je ne lui cèderais pas la garde de mes mitochondries. Le Samouraï prétend même décoder des études scientifiques. Mais pauvre chéri, tu n'en as ni les capacités, ni la formation, ni le talent. J'ai écrit l'avant-propos pour des clones de ton profil. https://taty.be/cancer/mondeconfus.html
Bien sûr, si j'avais une récidive de cancer, je filerais sur Pubmed me faire une petite synthèse, ou vérifier les dires des uns ou des autres. Mais je demanderais confirmation à un médecin, de préférence oncologue.
J'ai fait ce petit travail pour le cas familial qui m'occupe, où l'équipe de soins proposait de soumettre la petite à de la protonthérapie plutôt que de la photonthérapie. Si j’en crois ce que j’ai glané, la protonthérapie, annoncée comme moins toxique car bien plus précise, se révèle dans les résultats générer plus d'effets secondaires! L'annonce sur papier versus le réel: un vieux récit de l'humain.
Pourtant, je ne prendrais aucune décision sur ce premier survol sans avoir confirmation d'un pro. Je le rencontrerais munie du résultat de mes recherches, je lui demanderais son avis de praticien de terrain. Pubmed: quel outil! mais connaissons nos limites. Primo, je suis une profane, je ne peux juger du ranking des chercheurs, de la méthodologie de chaque étude. Secundo, je n'ai accès qu'aux abstracts, qui sont souvent plein de sous-entendus, parfois même ne reflètent pas le contenu de l'étude. Tertio, je n'ai pas de vision d'ensemble historique, qui me permettrait un jugement sain. Et quarto, juger sur des études sans les temporiser par le retour de terrain est une absurdité. Or, c'est ce que ferait un radiothérapeute oncologue.
NB technique. C'est chez Jérémy Anso - dur-a-avaler.com - que j'ai trouvé l'enquête sur nos miraculés du cancer. Anso, docteur en biologie, démonte quelques mythes sur son blog, dont le mythe du Samouraï. Son blog est une piste de départ pour qui veut s'interroger sur quelques légendes urbaines. Petite précaution de ma part: faites-vous votre propre avis, mais il y a trois ans, je me suis désabonnée assez vite, car son analyse générale ressemble à une pub' pour la Voix de son Maître. Tout ce qui n'est pas conventionnnel, recommandé par les autorités, est tancé par Anso. Il en perd sa crédibilité à mes yeux, et entre dans la confrérie des zététiciens, soit Riri Fifi et Loulou, ces gamins qui ont tant peur de la vie qu'ils se réfugient chez le Père Symbolique, l'Autorité. Lire mon billet "Les biais cognitifs: la raquette de ping-pong".
Je préfère infiniment lire le blog de veille scientifique de Bernard Bel, https://lebonheurestpossible.org/, qui pose aussi un regard critique. Je le trouve mieux documenté, et moins enfermé dans des chapelles.