Mmmh! Quel délice de se plonger dans un livre touffu comme Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons vrai, d'Antony Fardet. Pointu, documenté, bien pensé, assez rare en nutri... Je partage avec l'auteur l'objectif de simplement vivre mieux vieux (il promet dix ans de plus en bonne santé) plutôt que l'illusion que propagent mes camarades de pouvoir vivre cent ans de plus. Je blague bien sûr, mais on n'est pas loin de leur discours.
Chez Fardet, de beaux os à ronger pour celui qui est assez avancé pour avoir compris que le XXIè siècle sera holistique ou ne sera pas. Si j'animais encore des stages d'audit nutritionnel, ce serait une lecture imposée avant de commencer, puisque le socle des audits est l'alimentation ressourçante, le "manger vrai" d'Anthony Fardet.
Il navigue habilement entre deux niveaux de langage: l'expert qui voudrait faire passer de nouvelles normes au plan national et l'homme qui veut donner au vulgum pecus les outils pour agir. C'est un défi, car on mélange les genres: soit je m'adresse au ministre de la santé, soit je m'adresse à ma voisine. Parfois, ces deux niveaux font choc, comme dans sa règle nr 2: 85% de sources végétales, 15% de sources animales. Si c'est une bonne idée de restructurer les habitudes françaises très viandardes générales sur cette base, si je connais plus d'un camarade aux tendances breugheliennes qui profiterait d'une pause végétale, pour le mangeur lambda un peu fragile je serais plus prudente.
Je vais copier le bel ami: cette règle nr 2 vaut pour 85% des mangeurs, elle est caduque pour les 15% restants, ceux dont je m'occupe dans mes topos. Ceux-là sont les malades chroniques, des victimes de burn-out ou des fragiles de naissance qui ne sont pas du tout requinqués par un plan végé ou même semi-végé comme Fardet le propose.
Pourquoi?Disons que la règle nr 2 ne vaut que pour nos gouvernants, s'il leur venait l'idée de changer un peu les règles des cantines scolaires, par exemple. Une règle pour la diététique de troupeau, que j'appliquerais si j'étais ministre de la santé. Mais j'ai choisi de jouer mon rôle de Mémé-sur-son-blog plutôt que de prendre la place de Maggie Deblock. La règle nr 2 constitue la plus grande différence avec les nourritures vraies que je propose, car sa recommandation ne respecte pas toutes les typologies.
Dans mon topo je reprends trois types alimentaires: l'omnivore, le semi-végé et le végé, en répartissant les sources végé/animales selon les typologies (le premier étant le chasseur, le second le mixte et le troisième le cueilleur). Je ne serais plus ici pour vous faire la synthèse des opinions qui courent sur le sujet si j'avais continué le plan végé que Fardet conseille. Un canari de naissance, de type chasseur, groupe sanguin 0, diathèse 1/chêne qui suivrait ces recommandations ne serait plus que l'ombre de lui-même. Cas rare, j'en conviens, mais comme j'habite là-dedans, pour moi c'est 100% du réel.
La partie du livre de Fardet qui justifie le "danger animal" est un peu pâlote par rapport au reste, j'irais jusqu'à énoncer "partisane". Ceci dit, ça nous rassure, car même un brillant esprit comme lui peut être victime de ses croyances. Défenseur de la cause animale et probablement végé lui-même, Fardet en perd le discernement et n'est pas très objectif. Je résume à la louche car j'en fais un livre entier, qui est en dessous de la pile des tomes à paraître (Végé et bon sens). Non, l'élevage ne ruine pas la terre, c'est l'élevage en batterie qu'il faut incriminer. Au contraire, on ne peut lutter contre la terrible érosion des sols qu'en remettant les bêtes aux pâturages. Voir les belles démonstrations du sud-africain Allan Savory, émouvantes. Non, la viande même rouge n'est pas toxique, les études disponibles sont biaisées par quantité d'autres facteurs. Bref, cela mériterait un livre entier pour justifier cette posture.
Le pitch: si on aime les animaux, on peut soit ne manger que des bêtes respectées pendant leur vie et leur sacrifice et surveiller ses sources d'achat; soit se contenter d'oeufs et de laitages, qui ne demandent aucun sacrifice de chair; ou se contenter d'insectes, qu'on n'hésite pas à sacrifier (qui a de l'amour pour un ver?).
En outre, le défi est sacrément coton : résumer en une phrase un discours subtil. Fardet pense en "catégories", il oublie que la majorité des mangeurs pensent en "procédures". Ce sont deux schémas mentaux totalement différents. Il vont donc mal mettre en oeuvre son discours.
Et enfin, comme la proportion est la même que pour les 15% d'ultratransformés autorisés versus les 85% d'aliments vrais, on pourrait en déduire qu'il considère que les produits animaux sont aussi toxiques que les ultratransformés... Ce n'est pas son propos, mais c'est une déduction qu'un lecteur impliquera naturellement, par association d'idées. Ce serait dommage.
On est bien d'accord sur tout le reste, en particulier la règle nr 3 "manger bio & local"... mais elle va mettre du temps à passer dans le concret. Il y a loin des mots à la réalité. Illustration concrète: dans l'article autour de son livre, sur le site original lanutrition.fr, l'illustration ci-dessus est incohérente avec la règle nr 3 énoncée par Fardet. "Bio local": des avocats? bio et locaux? à moins d'habiter en Israel... avocats qui sont tous par ailleurs irradiés à la sortie du pays. Du riz? local? (en plus blanc de chez blanc). Des poivrons servis en même temps que du chou rouge? Les deux saisons se croisent fin novembre, à la rigueur. Sinon, ce n'est pas de saison...
Si même les convaincus n'arrivent pas à capter!
Au passage rigolo d'analyser que le plat représenté sur la photo est pété de protéines: pois chiche PLUS poulet PLUS avocat -> vous crevez les plafonds d'apports protéiques, plus personne ne peut vous garantir de gagner dix ans de vie en bonne santé, voies métaboliques Mtor obligent.