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5.11.24 Ou pourquoi et comment questionner son propre rapport à la santé, à l'interventionnisme médical, si pas à l'industrie médicale. Un lien avec le livre d'Ivan Illich: "Némésis Médicale, l’expropriation de la santé". Le cas de la vitamine D.
Une anecdote, par Ivan Illich, auteur de Némésis Médicale. Il rend visite à un ami malade:
-- Comment vas-tu, aujourd'hui?
-- Je ne sais pas, je n'ai pas encore mes résultats d'analyses.
J'arrive petit à petit à ce qui me tient à coeur: aimez votre corps, écoutez-le, il vous signalera ce qui lui convient ou pas, s'il souffre ou pas. En cas d'inquiétude, demandez un contrôle, c'est impératif. Profitez des merveilleux outils techniques modernes comme IRM, PETscan, etc.
Ce regard sur soi est d'autant plus capital si, lecteur de ce dossier, vous vous vous interrogez sur une possible survenance de maladie grave, comme un cancer. Si vous tombez dans le piège des dépistages systématiques, apparemment rassurants, je gage que vous fermerez les écoutilles et n'écouterez plus votre bon compagnon de route: votre propre organisme. Un ex-cancéreux, par force, suivra le parcours habituel des contrôles de sécurité. Je m'adresse ici aux personnes qui n'ont pas été diagnostiquées, celles qui se soucient de leur santé en général.
Je détone car je représente une posture à l'ancienne, décriée par la médecine moderne. Je ne suis pas seule dans cette posture de respect de soi et de distance respectueuse vis-à-vis de la médecine technicienne. Parmi les ex-cancéreux, je suis une des rares qui n'ai pas fait de contrôles réguliers après l'opération en 1994. J'étais si angoissée un mois avant le premier contrôle! Jai annoncé au gastroentérologue que je ferais un cancer d'angoisse si je continuais. Cette attitude m'est très personnelle, car je suis une hyper-anxieuse de nature et j'ai une biochimie atypique, qui semble ne pas correspondre aux normes actuelles. Je ne conseille ma posture à personne, bien sûr. Je décris simplement mon cas.
La Némésis Médicale est un terme connu de ma génération, qui suivait Ivan Illich dans sa critique d'une consommation thérapeutique quasi permanente, d'une pratique médicale devenue commerce. C'était le titre d'un de ses livres, publié en 1975. En gros, l'industrie médicale moderne désapproprie la personne de la gestion légitime de sa santé. Cette dérive s'est faite en mode tango: on danse à deux. Il n'y a pas eu de manipulateur de marionnette, d'intervention d'un supposé Big Pharma. La déresponsabilisation de l'individu, qui devient un patient chronique, s'est installée petit à petit. Le patient se complait ainsi dans un état d'infantilisation bien confortable; le praticien est quant à lui conforté dans sa posture de grand mamamouchi.
Illich critique tout particulièrement la diminution de la santé des hommes sous l’effet du développement sans fin de l’institution médicale, en soulignant l’inefficacité globale d’une médecine coûteuse, la perte de la capacité personnelle des individus de s’adapter à des environnements variés et leur incapacité à refuser des environnements intolérables, ainsi que le déni de la douleur, du vieillissement et de la mort.
Dans l'intro, Illich écrit:
"L'entreprise médicale menace la santé. La colonisation médicale de la vie quotidienne aliène les moyens de soins. Le monopole professionnel sur le savoir scientifique empêche son partage.
Une structure sociale et politique destructrice trouve son alibi dans le pouvoir de combler ses victimes par des thérapies qu'elles ont appris à désirer. Le consommateur de soins devient impuissant à se guérir ou à guérir ses proches. Les partis de droite et de gauche rivalisent de zèle dans cette médicalisation de la vie, et bien des mouvements de libération avec eux. L'invasion médicale ne connaît pas de bornes."
On peut aussi lire un article d'Olivier Clerc, reproduit sur mon blog avec son autorisation: "Médecine : religion des temps modernes ? " où l'auteur démontre que notre relation au médecin et à son art est parasitée par la soif de sacré..
Présentation du livre d'Illich par l'éditeur:
Lorsque leur développement dépasse certains seuils critiques, les grands services institutionnalisés deviennent les principaux obstacles à la réalisation des objectifs qu’ils visent. Ce contresens tragique, cette « contreproductivité paradoxale », version moderne du mythe grec de la Némésis (déesse grecque de la vengeance), Ivan Illich (...) en fait ici la théorie systématique à propos de la médecine.
(...) Il distingue trois niveaux de iatrogenèse :
-L’inefficacité globale et le danger de la médecine coûteuse (iatrogenèse clinique),
- La perte de la capacité personnelle à s’adapter à son environnement, et de refuser des environnements intolérables (iatrogenèse sociale)
-Le mythe selon lequel la suppression de la douleur, du handicap et le recul indéfini de la mort, sont des objectifs désirables et réalisables grâce au développement sans limites du système médical – mythe qui compromet la capacité autonome des hommes de faire face justement à la douleur, à l’infirmité et à la port en leur donnant un sens (iatrogenèse structurelle).
En images, des extrait de la recension du livre "Némésis Médicale, l’expropriation de la santé", par Jean Baubérot .
Je viens de publier 3 billets sur l'erreur des dépistages systématiques du cancer, qui s'avèrent être une erreur alors que l'opération partait d'une bonne intention. L'enfer est pavé de bonnes intentions: l'opération s'est révélée produire plus de faux négatifs (imposer un mois d'angoisse pour les femmes qui en ont été victimes), de surdiagnostics (lancer la procédure d'opération, chimios, rayons, pour un cancer qui serait resté dormant), de loupés (ne pas repérer une tumeur pourtant bien présente, le sein étant de texture trop dense). Bref, un big flop.
Je ne veux pas jouer le schtroumpf noir, critique de tout. Je voudrais souligner que nous sommes embringués dans une médicalisation à outrance de nos vies, parfois à "l'insu de notre plein gré". Dans chaque billet critique, j'ai ajouté "systématique" après dépistage. Lorsque le cas se présente: un souci de santé, une interrogation du médecin, il est évident que ce dernier demandera un examen, légitime. Mais dépister annuellement des personnes asymptomatiques? Reviens, Illich, ils sont devenus fous.
On retrouve le même phénomène de dépistage hystérique (dans le sens de "non-rationnel) dans bien des pans de la médecine, le seuil de vitamine D en est un. Lire le détail dans le long billet "Selon une étude, la vitamine D"... Jouer avec les interventionnistes ou avec l'équipe du bon sens?
Ce billet est en lien avec le billet, publié dans le dossier conjoint: "Jouer avec les interventionnistes ou avec l'équipe du bon sens? Le cas de la vitamine D"