taty lauwers

cuisinez selon votre nature

en quête d'un devenir-soi nutritionnel
  

L'organique pour échapper au mécaniciste, une vision des systèmes décontrôlés

20.7.2020 Sur la notion du complot (comme le complot des anticomplotistes): j e propose ici une réflexion qui élargit le débat complot-ou-pas. Sous la forme d'un courriel où mon camarade philosophe me traite de petit chiot.

Billet inclus dans le dossier "Le circus virule (ou ce que le covid-19 est venu nous dire"), amorcé début 2020. Répertoire "non-food" de ce site. Je mets ma casquette de Jiminy Cricket, comme pour le dossier à charge contre les Gafam. Je transfère certains des billets écrits en brouillon sur fb pendant le confinement. On les retrouve via le sommaire.


Je propose ici une réflexion qui élargit le débat complot-ou-pas. Sous la forme d'un courriel où mon camarade philosophe me traite de petit chiot. Et ça me plaît! D'autant plus drôle que, la minute d'avant, je rétorquais à un internaute me traitant de complotiss: "j'ai une grande compassion pour tous les petits bourgeois propres sur eux qui n'ont aucune vision politique hormis "ne rien changer au statu quo"". Et me voilà en petit chiot ;)

Je relançais ce matin Frank sur mon interrogation de mi mai: crainte ou attente d'une dictature numérique par 5G interposée?

Réflexions autour de la dictature numérique possible.
Je viens de discuter au tél avec un ami philosophe sur ma question: "je lis tant de billets annonçant qu'on va tous se faire pucer (sans autre analyse ni perspective), j'ai l'impression que ces personnes le souhaitent, à le répéter ainsi en boucle".
Impossible pour moi de condenser la richesse de ce que j'ai entendu en 15 minutes, je lui ai demandé un pitch par écrit. Suspens! On verra si l'entretien de sa roseraie prime sur notre édification. Je le partage ici dès que je l'ai.
Mon pitch: il est vain de gloser sur le dossier #5G si l'on ne comprend pas ce qui est à l'oeuvre. D'un côté, au plan purement pragmatique, la course à la 5G que se livrent les Américains par crainte d'être supplantés par les Chinois - crainte qui justifie les mesures militaires que nous avons subies récemment. De l'autre côté, au plan spirituel, la fin de la modernité et le refuge existentiel (illusoire) de beaucoup d'humains dans une forme de "mise en mode machine-objet". Ce qui explique que tant de mes interlocuteurs pratiquent le déni du dossier 5G et ne voient pas ce qui est en jeu à l'heure actuelle. Ils limitent le dossier au minage des données par google. L'enjeu est bien plus vaste: comment devenir cet autre sans se perdre?
Frank est l'auteur entre autres du livre "Le symptôme Avatar" où il voit la thèse de ce film comme le symptome d'une certaine societe en crise spirituelle - "l'emblème de notre postmodernité finissante: un Deus ex Fantasma, soit une derisoire rédemption par le rêve, faute de tout autre salut"

 

Conversation où on a envisagé l'extraordinaire angoisse de l'homme postmoderne et où on est arrivés à la conclusion que valoriser l'organique nous aidera à échapper au mécaniciste suprémaciste. Dix minutes après avoir raccroché, j'ai reçu ce texte que je partage.

Attention: n'oubliez pas votre phosphore; équipez-vous d'un crayon pour souligner, c'est ardu! Mais si tellement fortement juste...

Très chère Taty,


Je retranscris ici l’essentiel de notre conversation de ce matin, concernant le phénomène de société, pro ou contra, que constitue à mes yeux la controverse du 5G.

Je prends les choses de très loin pour expliquer qu’en fait, je n’adhère pas tout à fait à un mode de pensée qui identifierait des « intentions », toutes claires qu’elles puissent être, même par écrit, même émanant de personnes parfaitement identifiables, surtout dans le contexte de la décision économique, politique, prospective, etc., telle qu’elle émane des maîtres du monde. Pour moi, il n’y a plus aujourd’hui, dans le fonctionnement intellectuel des élites et des puissants quelque chose qui corresponde encore à l’intention claire, laquelle relève de très anciens paradigmes. Je crois même que le concept même de l’intention, en général, est elle-même un mythe, une fiction qui souvent réussit, il faut le dire, surtout dans la vie de tous les jours.

Une intention claire est celle dont la clarté intrinsèque provient de ce que c’est justement une intention, indépendamment de son contenu… Au fond, c’est le « je veux, je veux, je veux » du fascisme, qui ne se préoccupe que de vouloir (en tant qu’évènement ou expérience émotionnelle) et non pas de ce qui fait objet dans ce vouloir. La clarté de l’évidence propre à l’intention qui se vérifie comme intention – « je veux… » – met en œuvre selon moi ce sophisme qui est propre au réalisme émotionnel : « c’est vrai que je suis en colère, et donc ma colère est vraie » ou encore « …je vais prendre le pouvoir – et le pouvoir, c’est le « je veux » qui se veut lui-même à l’exclusion de tout autre chose – parce que c’est bon pour moi de prendre le pouvoir, et j’en conclus que le pouvoir, c’est bon absolument… ».


Le projet emblématisé par le slogan 5G vise bien évidemment à transformer le monde entier en un seul et unique grand ordinateur, soit une machine intelligente, artificielle, dont la matérialité a disparu, laissant place à une pure virtualité intrinsèquement fantasmatique. Cette idée-là, celle de vivre dans un cosmos-machine, plaît énormément, justement parce qu’elle fait peur… Il y a là une sorte de frisson sacré, et cette machine qui n’en est pas une, on s’imagine aussitôt qu’elle ne peut procéder que d’une intention, quelque chose de divin par conséquent.

Pour moi, c’est encore une manière de se rassurer, parce qu’en assignant un projet non humain à une volonté humaine – en ne tenant pas compte que les décideurs aient pu travailler à se rendre non humains, à émuler le fonctionnement de la machine cybernétique – tu te mets fantasmatiquement dans la position plus rassurante où face à toi, prendre place un individu humain qui a par conséquent une volonté, une conscience et une intention tout comme toi, à ceci près qu’il veut te nuire. Bien évidemment, on s’angoisserait considérablement d’avoir affaire à une masse nuageuse et malveillante (comme un certain virus…).

Tout le monde préfère avoir affaire à un despotès, c’est-à-dire au maître des esclaves, une figure en laquelle ils se reconnaissent, avec un processus d’émancipation qui est central dans la mythologie audiovisuelle contemporaine, à savoir l’histoire d’un dominé (d’un outcast)qui conquiert sa subjectivation en s’affranchissant d’une aliénation métaphysique incarnée par un « méchant », et qui a raison contre tous, comme la fin du film le révèlera, bien sûr, puisqu’il sauve la planète tout en se sauvant lui-même).

Au-delà de cette mythologie de masse, je vois que nous sommes tous des chiots, qui se cherchent un maître, lequel peut à l’occasion être méchant mais tout va bien tant qu’il assure l’alimentation ordinaire de la gamelle. Nous sommes tous des chiots, dis-je, parce que nous sommes savamment infantilisés dans un monde qui privilégie la satisfaction immédiate de besoins somme toute prosaïques manger, dormir, bronzer) et qu’on nous vend comme des objets désirables à une hauteur métaphysique, comme si la société de consommation était le séjour des dieux enfin à la portée de toutes les bourses.

 

Pourquoi puis-je dire qu’il n’y a pas d’intention, à proprement parler ? Pour répondre à cette question, et justifier cette déconstruction derridienne particulièrement radicale, il me faut entrer un peu dans la question de la technique, qui est celle du comment : dans une pensée mythique/mythopoïétique qui correspond à une société où tout le monde bricole, empiriquement, artisanalement, et tout ressortit à l’œuvre et non à la production manufacturière et au travail fragmenté, tout est assigné in fine à une volonté telle que tu la décris, c’est-à-dire une volonté de bien faire ou de nuire, ce qui intègre une certaine une soif de pouvoir… bref, l’intention est le propre des dieux archaïques, dont la volonté est tout entière interprétable en tant qu’intention et qui n’a pas besoin d’une cohérence logique : elle peut (et même elle doit être) capricieuse et contradictoire parce qu’elle est expression du vivant.

Après vient le comment faire, c’est-à-dire la technique. Et pour rendre cela, ne serait-ce que parce que j’ai travaillé ces temps-ci sur le sujet, je voudrais évoquer la figure mythique de Prométhée, le voleur de feu, dont on a fait l’inventeur des techniques. C’est quand même très bizarre, me suis-je dit, que certains mythes le montrent comme un intrigant très rusé (Hésiode) mais aussi très maladroit, et d’autres, surtout Protagoras chez Platon, comme un grand sage, qui vole aux dieux la technique pour la donner aux hommes, dont par exemple le feu pour la cuisine, la céramique et la métallurgie. C’est un bienfaiteur parce que la technique est réputée « bonne » en soi : la science de l’utile est en elle-même utile, on n’en disconviendra pas.

Or je pense vraiment (et je ne suis pas le seul, il y a toute une littérature là-dessus) que la technique n’est ni bonne, ni mauvaise, avec une caractéristique singulière, à savoir un renversement entre le pourquoi et le comment : dans une perspective de l’intention (dont le paradigme est la volonté divine), le comment disparaît dans le pourquoi et tout le reste est proprement magie.

Dans une perspective de la technique, c’est l’inverse : pourquoi de l’intention disparaît dans le comment de la technique et on finit par faire les choses pour faire les choses… Ce renversement est dû, je pense, à la nature de la technique qui se révèle tout au long de son développement historique, économique et bien sûr scientifique – comme en témoignent les deux derniers siècles, ceux de la révolution industrielle depuis les Lumières.

C’est pour cela que je conteste l’idée d’intention dans ces questions de politique économique et scientifique à très grande échelle, d’abord parce qu’elle maquille, sous une forme archaïque de pensée, ce que j’appelle l’autotélie de la technique – la technique veut toujours plus de technique – et qu’ensuite, ce maquillage de la réalité technique abrite une intention elle-même archaïque et mythopoïétique (qui fabrique du mythe), qui fonctionne comme un symptôme.

Je m’explique : ah oui, ce serait tellement bien s’il y avait quelque chose de l’ordre d’une intention, aujourd’hui, notamment à l’occasion des décisions et des programmes écrits in extenso de manière prospective par les grands décideurs et maîtres du monde (Davos, etc.). Revendiquer ou diagnostiquer une intention malveillante participe d’un comportement de chiot, je ne dis pas cela pour vexer qui que ce soit, qui revient à dire : « au moins il y a un maître… ».

L’alternative est diabolique : si l’on voulait être autre chose qu’un chiot, à supposer que cela soit possible étant donné l’environnement culturel et surtout audiovisuel qui nous infantilise savamment, pour des raisons affectives – notre dépression d’abandon, si postmoderne – et hédoniste – tout sauf penser, sauf affronter l’abîme, lequel, évidemment, croît à proportion de notre déni. Pour n’obéir qu’à ses propres intentions, il faut renoncer à se chercher un maître : c’est très nietzschéen ce que j’avance là.

Je reviens à la question de la technique pour en souligner l’autotélie qui dit que la technique ne veut rien d’autre qu’elle-même. C’est la seule intention que je perçois dans tous ces processus décisionnels où chaque grand ego s’imagine formuler des intentions – et qui, ce faisant, se donne à lui-même le spectacle de lui en train de vouloir… à la manière d’un dieu dont l’intention déterminerait verticalement les contingences de sa mise en œuvre toute technique. La technique prenant le pas, elle rend caduque la question du pourquoi, à ceci près que le vide incomblable que laisse derrière lui le pourquoi ainsi escamoté ou disparu – c’est la grande question de l’absurde, au milieu du vingtième siècle – est maintenant devenu saillant. On sent, on sait qu’il y a du vide. On s’en effraie. On n’arrive plus à combler ce trou avec du mythe. D’où ton cri de détresse en filigrane de toutes tes activités, un cri désormais assez généralisé : il est possible de le formuler, de le mettre en mots, comme tu dis, dès lors que de plus en plus de gens s’alarment de ce dont ils sont devenus conscients et voient qu’on a perdu le pourquoi dans l’hégémonie du comment. Ils se reconnaissent les uns les autres dans des mots qui, depuis dix ans, ont cessé d’être des cris pour devenir un discours cohérent. Et chacun s’y reconnaît.

Mais je reviens à ta question de l’intention sous-jacente au projet 5G : « pourquoi une société complètement surveillée ? – la vraie réponse, selon moi : parce que « société complètement surveillée ». Autrement dit : « Pare que c’est comme ça ? » et après on peut mettre ce qu’on veut : « le progrès technologique, le bonheur, les lendemains qui chantent, le transhumanisme » que sais-je encore… C’est ça l’autotélie, autotélos,le pouvoir parce que le pouvoir en veut toujours plus, la technique parce qu’elle veut toujours plus de technique… Ce n’est plus, à mon sens, ce que veulent authentiquement l’une ou l’autre personne qui disposeraient d’un grand pouvoir. C’est ce que ces personnes disent parce qu’elles sont possédées par ce grand pouvoir dont elles croient disposer, comme le bouchon sur la vague peut s’imaginer être aux commandes du tsunami…

Pour finir, tu mentionnes tous ces interlocuteurs/trices qui auprès de toi s’étonnent de et ne comprennent pas l’inertie de la population face aux grandes questions de notre temps (depuis l’industrie de la viande jusqu’aux modifications radicales du climat, l’épuisement des ressources et l’extinction de la biodiversité, etc.)… et tu me dis que tu leur réponds que cela est dû à la conception du monde que portent tous ces gens qui ne s’étonnent de rien et semblent indifférents à tout ce qui est en train de se mettre en place. Tu évoques le système englobant de l’hôpital au sein duquel ces gens se placent et abandonnent tout libre-arbitre, tout esprit critique. À tes interlocuteurs/trices qui manifestent du découragement, tu fais valoir qu’à tout le moins ils/elles s’expriment et mettent tout cela en mots…

C’est un point important, et j’y vois cependant un double langage, au sens épistémologique du terme : d’une part, le langage de l’ennemi et d’autre part d’autres paradigmes qui s’en affranchissent radicalement. Et parfois, il y a contamination et confusion entre les deux, ce qui est à peu près inévitable… Le langage de l’ennemi est celui par lequel on prête cette intention – cela même qui définit l’ennemi – à ce danger informe auquel, par-là, on peut ainsi donner figure humaine. On se bâillonne, on se ligote, on se met des chaînes dans l’attente d’un ennemi auquel on veut bien tout abandonner s’il voulait bien enfin se montrer, car c’est là son arme fatale : il agit sans se montrer, et tant qu’on lui prête une figure humaine, on en est prisonnier. Anciennement, on en aurait volontiers parlé comme d’un dieu ou d’un démon, mais maintenant il faut en parler comme d’une force ou d’une chose, rien de vivant, en fait.

Et là, j’avance d’une case pour dire que si la technique est neutre, il se fait que cette neutralité se révèle comme antihumaine, ce qui est tout différent de l’inhumain. Le tigre, si tu le croises dans une forêt tropicale, sait très exactement ce que tu es, à savoir une proie, et qui va de croquer. Mais la machine n’a aucune idée de qui tu es, pour elle d’ailleurs tu n’existes tout simplement pas. Tu es le papillon sur le tank, la fourmi sur le missile. Ça, c’est la première logique.

La seconde logique – dont j’ai dit que les paradigmes échappaient à l’emprise de la première, technique, machinique, politique, etc. – est celle dont toi, Taty, tu es une éminente représentante… Pour moi, il est tout à fait normal que tu aies pu pendant longtemps pousser l’idée devant toi, sans qu’elle te soit d’emblée claire.

Ainsi vont les idées nouvelles, en ce sens que, pour prendre un exemple, celui de l’idée de la démocratie en Grèce antique, elle n’a été claire que trois siècles plus tard, de par une lente percolation qui supposait l’effondrement des libertés civiques devant Alexandre et une intense nostalgie d’une perte de ce dont on gardait un souvenir obsédant bien que fantasmatique. En fait, les gens ne se sont pas assis à une table pour se dire, tout d’un coup, au VIème siècle avant J.-C. « on va inventer un truc tout neuf dont on reparlera dans vingt-cinq siècles et on va se débarrasser des roitelets hystéro et on va mettre à la place un machin qu’on va appeler d’un néologisme vaguement contradictoire pour l’époque et qui veut dire « pouvoir du peuple » : démocratie… ». Mais non, ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, en fait.

Le processus est foncièrement organique et non pas machinique. Essayer d’y voir clair, de comprendre quelque chose, est toujours quelque peu rétrospectif. Il faut qu’il y ait suffisamment de mouvement dans l’histoire profonde pour que se fasse de la place pour déployer de la rétrospection, et ce moment est arrivé aujourd’hui, au sortir de la Modernité : pas mal de choses deviennent claires et le mode de pensée le plus neuf ou novateur est celui qui va peu à peu s’émanciper de la logique machinique de « l’intention technique » pour se faire organique, à l’écoute du vivant, de vivant à vivant. Cela consiste à laisser se développer les idées comme des plantes dans un jardin et voir un peu ce qui vient, sans trancher d’emblée. Et quand quelque chose ne fonctionne pas, c’est se dire alors qu’on n’a pas été encore assez subtil.

La différence que je peux faire entre le mode machinique et le mode organique de la pensée – je ne suis pas sûr des termes, en fait – tient à ce que dans l’informatique, le moindre grain de sable arrête la machine… tandis que dans le jardin, s’il y a un grain de sable… pas de souci, ce ne sera pas le seul et toute organisation est en fait auto-organisation du vivant.

Voilà donc ce que je te disais, rassemblé (et peut-être un peu trop concentré), comme tu me le demandes. Et là je retourne au jardin, bien évidemment…


Je t’embrasse

Frank

 
Le dossier n'est pas terminé, je l'étoffe de jour en jour. Patience, il sera prêt en livre sous peu.

Voir le chapitre "Le complotisme de l'anti-complotisme" - voir la table des matières du dossier

Retour au blog "Articles"